Festival Pharenheit – Soirée Combo-Rock

Pour la troisième année consécutive, le Phare, Centre Chorégraphique National du Havre Haute-Normandie, dirigé par Emmanuelle Vo-Dinh, proposait son festival de danse Pharenheit. Programmation éclectique, univers multiples allant de Christian Rizzo, Nadine Beaulieu à Ambra Senatore, Anne Collod… Pharenheit donne une visibilité au paysage chorégraphique actuel. Petite pause sur l’une des soirées du festival : la Soirée Combo Rock.

En-Joy (un morceau de mon esprit) – Emmanuelle Vo-Dinh et David Monceau

Cinq sens

L’espace très peu éclairé, on devine ici et là, un dispositif où la circulation sera toute particulière. Une concentration d’éléments au sol, au coeur du plateau, d’autres comme un panneau-miroir souple, un long tube de métal ou encore un mobile d’objets en verre et métal, éparpillés en périphérie. Des lignes verticales s’étirant vers le ciel, organisent l’espace à la manière d’un tipi. C’est d’ailleurs une allumette qui déclenchera le feu de l’action. Emmanuelle Vo-Dinh en craque une longue. Première note de cette bande son originale, créée instantanément par les danseurs. Chacun d’entre eux, vont d’un espace à l’autre pour agir avec minutie sur des matières, des micros et élaborer un son qu’ils enregistrent, mettent parfois en boucle, à l’aide de pédales.

En-Joy est une pièce, pour les sens, avec une attention toute particulière portée à la vue et à l’ouïe. L’odeur de l’étincelle du début arrive jusqu’à nous, la manipulation des instruments guitare, mailloches, mais aussi des matières présentes sur le plateau, en plus de créer du son, produisent des sensations de l’ordre du toucher. On goûte à chacune des mises en action. Le frottement d’un micro sur un jean, un morceau de métal raclé sur le sol… toutes ces actions sont autant de gestes, de mouvements plus ou moins dansés (on est en effet souvent plus proche de la manipulation que de la danse), de sons connus ou nouveaux, de sensations agréables ou désagréables. Emmanuelle Vo-Dinh et David Monceau composent une partition riche de couleurs sonores.

La complicité est grande entre ces deux artistes qui se connaissent et travaillent ensemble depuis quatorze ans. Les corps au départ éloignés, le déplacement de l’un  générant celui de l’autre, vont se rapprocher, entrer en contact et créer d’autres possibilités visuelles et sonores. Les espaces séparés dans lesquels chacun se donnait pour le plaisir de l’ouïe, constituent petit à petit un seul et même espace. Les deux interprètes poursuivent leur valse autour du foyer fondateur, s’y retrouvent puis s’en échappent de nouveau.

Les rires de l’un entre alors en résonnance avec les riffs de l’autre. Jusqu’à l’empoignade de l’un par l’autre. Jeu d’enfants, les souffles s’affrontent poussent l’un et l’autre dans ses retranchements. Les corps se choquent, s’entrechoquent entre eux, mais aussi et surtout avec les objets, donnant naissance à de nouvelles sonorités. En-Joy est une pièce simple donc lisible et dans laquelle on peut se projeter. Le procédé de circulation, de mises en action d’objets, instruments, de corps, mis en place, permet de décupler l’acuité du spectateur, son attention et ses sensations.

Pendant cinquante minutes on s’attache à percevoir, comment les corps se déplacent et se mettent en jeu pour créer un espace sonore, une musique singulière. Le rituel très calme, très attentionné, au début du spectacle, gagne petit à petit en rapidité, en énergie, sans hélas réellement décoller. Le déroulement de la pièce et le dialogue engagé entre musique, voix et corps pouvaient laisser présager d’un assaut final. D’une montée paroxystique. Mais les chorégraphes et interprètes l’ont vu autrement. La montée musicale jouée à la guitare par David Monceau et le corps d’Emmanuelle Vo-Dinh entrant dans une forme de transe, traversé par de timides secousses, tournant le dos aux spectateurs, font en quelque sorte retomber la sauce, dont les ingrédients et leur mélange au départ paraissaient savoureux. Satiété inassouvie.

Set Up – Mickaël Philippeau

Le chœur à l’ouvrage

Noir total. Une led frontale apparaît au loin. Elle s’approche doucement. Une autre s’allume puis une autre, puis une autre, puis une autre… Les têtes sur lesquelles elles reposent s’inclinent à tour de rôle. Un ballet lumineux, mystérieux  commence. Une led pousse l’autre puis l’autre. Un relais s’opère, chacune semble attachée à un instrument de musique, la dernière de la ligne chante, celle qui prend sa place, la pousse à quitter le plateau, à courir autour des spectateurs et revenir prendre la place d’une autre puis d’une autre etc…

Cette première scène de Set Up, donne le ton. Et quel ton ! Moment délicieux, enfantin que ces lumières incarnant des personnes dont on ne connaît ni le visage ni le corps, mais nous donnant à voir des tailles, à entendre des voix masculines, féminines, graves, aigues, lascives reprenant inlassablement « Wonderful life » (tube des années 80 chanté par le groupe Black). Difficile alors de ne pas se sentir proche de ces personnes-personnages qui nous sont révélés par la lumière du plateau.

Le système de relais mis en place au début de la pièce, se développe encore et encore. Ainsi la batteuse se substitue au guitariste, le guitariste se substitue à la claviériste, la claviériste se substitue à la violoncelliste… chacun prenant le temps de se glisser dans le rôle de l’autre, d’adopter ses attitudes, ses inclinaisons, on assiste à la construction et déconstruction d’un groupe de musique. C’est exactement de ce désir que naît Set Up. Rien d’étonnant dès lors que les branchements, la mise en place des projecteurs, des amplis se fassent au début du spectacle et leur débranchements et rangements, à la fin de celui-ci.

Avec Set Up, Mickaël Philippeau construit et déconstruit l’espace scénique, en l’occurrence celui d’un concert. Entre les danseurs et les musiciens, la régisseuse lumière ou le régisseur son, on ne sait plus qui est qui. Chacun donne de la voix et du corps pour participer à cette gigantesque fresque collective. Chacun manie les projecteurs, les câbles, les instruments de musique et créer ainsi un nouvel espace sonore et visuel. Aussi cette volonté de travailler sur le relais, d’échanger les rôles renvoie à la fragilité d’un spectacle, à tout ce qui est nécessaire pour sa mise en œuvre et son bon déroulement, et à ce travail d’équipe évident.

Mickaël Philippeau possède cette indéniable capacité à amener les choses sans jamais qu’on s’y attende. Tout en douceur, avec beaucoup d’humour, il déplace notre regard, trouve des angles morts, s’y incruste pour leur redonner vie. Entouré d’une formidable équipe artistique, il met à plat les choses pour les regarder avec simplicité et attention. Difficile dès lors de na pas être dans ce regard empathique et attentionné. Le corps, la voix, la musique participent d’une œuvre commune, la rende palpable, friable, instable tout autant qu’originale. Les interprètes remplient de leur expérience et des allers retours entre manipulation et jeu, se révèlent être des bêtes de scène chacun à leur manière, avec leur personnalité.

Set Up nous entraine dans ces jeux de rôles, ces ratages incontrôlés ou pas, ces glissements d’énergie, ces velléités d’être ensemble et de faire œuvre commune. On perçoit clairement cette connivence toute particulière qu’a su créer le chorégraphe avec son équipe et le plaisir qu’elle diffuse à jouer cette partition que l’on croyait improbable. Très belle réussite.

Blast – Hélène Rocheteau

De battre nos énergies se sont enivrées.

A cour, une femme tourne lentement sur elle-même. Au centre du plateau, un homme et sa batterie. Les lumières déclinent, le premier coup de baguette retentie. C’est parti pour trente minutes d’énergie à baguettes rompues.  

Sorte d’objet dansé joué non identifié (et c’est tant mieux), Blast de la chorégraphe Hélène Rocheteau et du batteur Jean-Baptiste Geoffroy dégage une puissance et une énergie insatiables. Le souffle qu’ils déploient, (traduction de ce mot anglais), n’a de cesse de se régénérer, d’être poussé à bout dans des territoires incertains. L’assise du batteur, son instrument et la force qu’il injecte dans sa partition pourrait soumettre la danseuse et l’écraser quelque peu. Mais il n’en est rien. On ne sait pas toujours de l’un ou de l’autre qui mène le souffle. Aller retour permanent entre l’un et l’autre, Blast n’a de cesse de s’appuyer sur les jaillissements, les effondrements, les élans obstinés, explosifs des deux artistes. Que les baguettes plient, volent en éclats, les corps eux restent présents, définitivement ancrés. Ils scandent un indéfectible désir de rester debout, de se confronter, de créer une matière nouvelle, fusions de ces deux énergies.

Hélène Rocheteau, le corps fluet, explose en permanence. A terre, elle déplace son corps allongé par une série de sauts, de l’ombre à la lumière elle réapparait en fond de scène et laisse son souffle exulter. Sous des stroboscopes, elle reprend ses marques dans une course folle autour du batteur. Dans ce même temps, Jean-Baptiste Geoffroy donne à son instrument et sans ménagement une énergie explosive. Syncopes et boucles constituent une partition à la puissance dévastatrice. Blast est une pièce saisissante par la présence de ce souffle paraissant lui insaisissable. Qualité incroyable d’interprétation de ces deux artistes, on reste subjugué par la conjugaison qu’ils ont su donner à leur rencontre et dialogue, ponctué sans retenue. Bravo.

Cette soirée Combo Rock, fut réjouissante à tous points de vue et pour tous les sens. Les spectateurs avaient droit avec leur billet, entre deux spectacles à une galette saucisse tout à fait de circonstance. Belle idée que ce fil conducteur entre musique et danse. Entre corps dansant et corps musical.

Fanny Brancourt, CCN Le Phare (Avril 2015)

©Loran Chourrau