Clameur des arènes – Salia Sanou

Subtile puissance

Plateau blanc. Fond de scène tapissé de sacs rouges (pouvant supposément contenir du sable). A cour, quatre musiciens rejoignent basse, guitare, clavier et batterie. La voix, à la fois granuleuse, rocailleuse et sensuelle, d’Emmanuel Djob, créateur de la composition musicale, donne le ton. C’est alors au tour de huit lutteurs (cinq venus du Sénégal et dont c’est le métier et trois danseurs) d’entrer dans l’arène. Le rituel peut commencer. Vêtus d’un simple boxer, les interprètes se parent d’un tissu rouge enveloppant leur bassin, marquant leur taille. Le regard insistant vers le public, ils nous donnent à voir leurs corps sculpturaux, leur musculature ultra développée, mais aussi leur jeunesse.

Le chorégraphe burkinabé, vivant entre Montpellier et Ouagadougou, Salia Sanou, nous entraîne avec sa dernière création Clameur des arènes, dans l’univers de la lutte. Sport de combat très répandu en Afrique, que Salia Sanou a lui-même pratiqué enfant et adolescent.

Clameur des arènes n’est pas la représentation sur scène d’un combat en tant que tel. C’est une rencontre entre deux univers celui de la danse et de la lutte. Entouré de cinq lutteurs et de trois danseurs, le chorégraphe s’est appliqué à mettre en lumière ce qui relie ces deux pratiques. Les rituels auxquels elles font référence dans la préparation du corps, la rigueur qu’il demande pour être performant, l’adaptabilité et la malléabilité face à l’autre. Rituels et pratiques ouvrant largement le champ d’une gestuelle commune. Salia Sanou a ainsi développé avec ses interprètes, des qualités de corps propres aux deux disciplines. Tensions, relâchements les caractérisent en partie, tout autant que cette animalité inhérente au combat et à la survie. Souplesse et puissance coexistent en permanence.

Tout commence par un temps d’observation, de parade, de défiance à l’égard de l’adversaire, mais aussi de complicité avec son équipe (les lutteurs appartiennent toujours à des écuries et ont pour référent un marabout). Une fois dans l’arène, il s’agit d’être rapide et précis si l’on ne veut pas être mis à terre. Salia Sanou crée des ponts entre les mouvements effectués par les lutteurs dans leur pratique et ceux des danseurs, afin de s’en éloigner et de trouver une terre commune. Il utilise le cercle, comme l’espace du combat mais aussi comme référence aux danses traditionnelles africaines, l’entrée et la sortie de celui-ci comme affirmation de l’individualité et du collectif, éléments propres à ces deux disciplines. Ces de ces ressemblances et proximités qu’émane la rencontre. Les corps des lutteurs impriment leurs empreintes sur ceux des danseurs et inversement.

Accompagnés d’une musique proche du funk et du groove des années 70, et d’une ambiance sonore liée aux clameurs des arènes, les corps exultent une sensuelle masculinité. Ils se jouent et se délectent de leur puissance, de cette exubérante musculature (pour ce qui est des lutteurs plus que des danseurs, car clairement, les corps ne sont pas les-mêmes, ça se sent et se voit). Ne font parfois qu’un. C’est l’occasion d’une très belle scène, où les huit interprètes se retrouvent au fond du plateau et longent le mur de sacs rouges. Dans un jeu de cache cache, on ne perçoit plus que trois personnes qui se déplacent alors qu’ils sont toujours bien huit. De la finesse de leurs mouvements et de ce déplacement collectif en total écoute, se dégage une parfaite illusion.

Clameur des arènes est une pièce, pleine d’énergie de part la présence des danseurs, lutteurs, musiciens, mais aussi par cette scénographie tout en rouge et blanc qui tranche avec le corps pratiquement nu des interprètes. Salia Sanou réussit ce voyage, et cette rencontre entre deux disciplines, malgré la fragilité des transitions entre les différentes parties. Il fait émerger une gestuelle unique. Gestuelle dans laquelle on reconnaît bien sûr des influences liées aux danses traditionnelles africaines notamment le sabar du Sénégal, ou des sauts frappés au sol venus d’Afrique du Sud ; on reconnaît aussi les cérémoniels propres aux sports de combats. Mais ce n’est pas tant ce que l’on connaît ou reconnaît qui importe que ce qui émerge de nouveau, de contemporain dans cette pièce, que le chemin parcouru entre les uns et les autres, les uns vers les autres.

Fanny Brancourt, Le Tarmac Paris (Octobre 2014)

©Marc Coudrais