Le grand jeu – Olivia Grandville

Femme sous influence

Portrait d’une femme, de femmes, d’une actrice, d’une danseuse, de tout cela à la fois. Olivia Granville sort, à la manière de Gena Rowlands dont elle s’inspire largement, le grand jeu. Imprégnée de la filmographie de John Cassavetes et en particulier des figures féminines qui la jalonnent, la danseuse et chorégraphe, s’en va explorer les corps et voix de ces figures.

C’est sur les traces de Myrtle Gordon, incarnée par Gena Rowlands, dans Opening Night, qu’elle pose ses premiers pas, ses premiers gestes. Sur un énorme tapis rouge, avec tremplin, Olivia Grandville rejoue des scènes de ce film et de bien d’autres encore. Elle place le spectateur dans la peau du réalisateur, en évoquant les cadrages et leur composition, elle le tient en haleine comme ceux qui, le soir de la pièce jouée dans le film, attendent avec impatience Myrtle Gordon, complètement imbibée d’alcool, et pousse le suspense, comme dans le film, va-t-elle pouvoir monter sur scène ?… 

Le spectateur passe d’un espace à un autre, du théâtre au cinéma, du cinéma à la vie réelle. Quel que soit le média par lequel elle passe, Olivia Grandville transporte les émotions, les caractères et personnalités de ces femmes « cassavetesiennes ». Souvent sur de hauts talons très féminins, en jupe orange et chemisier noir, elle possède l’allure des figures féminines du cinéma de Cassavetes. La cigarette à la bouche, le brushing défait, les cheveux parfois dans les yeux, les chevilles qui lâchent, apparaît alors une autre femme qui est pourtant toujours la même. Une femme qui se révolte, qui tue, Gloria, pour sauver l’enfant qu’on lui a confié à son insu, une femme qui perd la tête, Une femme sous influence, et tente de faire face aux siens, une femme qui déborde d’amour, Love Streams, mais qui ne sait à qui l’offrir… 

Danser ces personnages, c’est aussi danser des femmes. Incarner la fragilité comme la puissance dont elles peuvent faire preuve. D’un instant à l’autre tout peut basculer, celle qui était solide et déterminée, sûre d’elle perchée sur ses talons, devient instable, ses chevilles se tordent, elle entre dans une rage féroce, serre les poings, frappe, tombe au sol, se relève, court, fuit, disparaît, pour réapparaître un peu plus loin avec une nouvelle énergie. La vitalité chez ces femmes est toujours présente, elle est offerte à qui veut bien s’en étourdir. Mêlant ses textes, ses mouvements dansés ou non, à une bande son faite d’extraits de film, de bruits ainsi qu’aux lumières très cinématographiques d’Yves Godin, Olivia Grandville semble prendre un plaisir immense à se jeter dans les corps et décors de ces femmes. Pourtant le désengagement du spectateur peut poindre à certains moments de la pièce. Moments où l’interprète manipule ordinateur, ou vient s’adresser à nous avec un micro sans nous convaincre totalement. Ceux-ci ne retirent cependant rien à ces scènes de danses ou de reconstitutions de séquences liées aux films.

La force d’Olivia Grandville et de son Grand jeu,  est dans cette danse qui vacille, se déséquilibre, perd pied, et qui plus tard retrouve une infaillible verticalité, un goût de l’urgence. Et de rester debout.

Fanny Brancourt, La Ménagerie de Verre (Mars 2014)

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