Sueur des ombres – Andréya Ouamba

Corps de guerre

Lorsqu’en 1999, Andréya Ouamba est invité au Sénégal par Germaine Acogny, son pays le Congo est en guerre. Les combats à Brazzaville perdurant, le temps de travail au Sénégal se transforme en un temps d’installation. C’est seulement en 2008, qu’Andréya Ouamba revient sur les terres qui l’ont vu naître et où il a commencé à danser, notamment le hip-hop. Sueur d’ombres émane de ce retour du chorégraphe au Congo et des guerres incessantes qui jalonnent l’histoire de ce pays. Il évoque en partie le génocide de 1998 qui n’a pas réellement été considéré comme tel par la communauté internationale. Avec Sueur d’ombres Andréya Ouamba s’intéresse au discours des personnes ayant vécu ce génocide mais aussi à l’absence de paroles officielles sur ce dernier.

C’est donc un sujet hautement sensible que prend à bras le corps le chorégraphe. On serait tenté de souligner « le corps », car les six danseurs qui se jettent sur le plateau et traversent cette violence de la guerre ne ménagent pas énergie et combativité.

Dans une obscurité latente, des chuchotements se font entendre, se transformant petit à petit par des paroles pleines de virulence allant jusqu’à la brutalité. Dialogues de sourds entre hommes et femmes qui mènent les premiers à violenter les secondes. La violence faite aux femmes étant « une valeur sûre » dans les stratégies de guerre et d’anéantissement de l’ennemi. Aïcha Kaboré, Fanny Mabondzo et Francia Louzolo Nkondia, les trois danseuses, en apnée, complètement engagées dans ce tunnel de fureur cherchant à se faire entendre, à rester debout, sont surprenantes de résistance. Qualité qui efface en partie la partition des trois autres danseurs. Aucune entrée et sortie de plateau dans Sueur d’ombres, les danseurs s’inscrivent dans un territoire qui est malmené comme leur corps peut l’être. Munis de tiges de bambou, ils créent l’espace et surtout l’enfermement. Les corps comme les paroles sont tus. Les espaces de survie sont minces et se resserrent fortement.

Andréya Ouamba n’hésite pas à mettre en abîme la violence de la guerre en images grâce à ses six danseurs. Et lorsque l’on connaît la portée des images ce n’est pas rien. Mais au-delà de celles-ci, elles-mêmes liées à cette scénographie et ces territoires de violence dans lesquels s’éprouvent les danseurs, aucune émotion ne les accompagne. On reste en dehors du propos. C’en est presque gênant tant l’énergie et l’investissement qui sont donnés sur le plateau sont importants. On aimerait être les témoins, les oreilles attentives de ces corps, mais rien. Ceci est en partie dû à une danse qui se dilue. Qui ne trouve pas de prolongement. L’énergie est explosive. Les corps en sont chargés mais elle ressort sans impact précis. Du début à la fin du spectacle les corps, même si ils sont contraints, vont et viennent dans tous les sens, sans grands reliefs ou nuances. Impression générale de confusion et de désordre.

Difficile de dire, de danser la guerre, et les conséquences qui en découlent. Andréya Ouamba et on ne peut pas le lui reprocher, s’est lancé dans cette aventure avec sincérité. Mais sa mise en corps est désordonnée, mais peut-être est-ce aussi une juste façon de dire la guerre ? En tout cas la sienne.

Fanny Brancourt, Théâtre des Abbesses Paris (Décembre 2013)

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