Mamela Nyamza et les kids de Soweto

Jeunesse, toutes voiles dehors !

Mamela Nyamza revient à Paris, après son passage au Festival d’Avignon, où elle présentait 19-born-76-rebels, ainsi qu’au festival Paris Quartier d’été où elle jouait son solo Hatched. Cette fois-ci, c’est dans le cadre du Festival d’automne et des Saisons Afrique du Sud-France 2012/2013, qu’elle apparaît.

La chorégraphe et performeuse sud-africaine s’est entourée ici d’un groupe de cinq jeunes danseurs âgés de 18 à 26 ans, le Soweto’s finest. Pour ces Kids of Soweto, la danse semble être plus qu’un art de vivre. Mené par Thomas Bongani Gumede, ils ont pour habitude de se produire dans différents shows commerciaux ou événementiels.

Leur danse, le sbuja, est née en réaction au pantsula autre type de danse urbaine très à la mode à Johannesburg comme à Soweto. Sbuja fait référence au terme de « bourgeois » et à l’élégance qui caractérise ce milieu. Emprunte des danses traditionnelles africaines, mais aussi du hip-hop, du voguing …, le sbuja implique au delà du corps le visage, les expressions y sont très prégnantes, mais aussi la voix, sifflets et autres cris. Les kids entrent en scène, avec un trio vestimentaire élémentaire : jean tee-shirt baskets. Sac au dos pour certains, appareil photo ou encore casque audio pour d’autres, rien ne les éloigne de leur environnement.

C’est pourtant la première fois qu’ils quittent l’Afrique du Sud. Mais sur scène, c’est bien dans leur monde qu’ils nous entrainent. Ils ont la fureur, l’expressivité, l’envie, l’enthousiasme alors ils expulsent cette force de vie avec humour, sérieux et un plaisir immense.

L’énergie est exubérante, exaltante, percutante.

Après un premier temps de présentation, Mamela Nyamza entre en scène, vêtue d’une combinaison en latex noir, chaussée de sneackers compensées. Son incroyable silhouette dégage soudainement une forme d’autorité. Un à un elle les porte et les place là où elle le souhaite. Sorte de mère supérieure, d’aînée tangible, elle est celle qui canalise l’énergie, qui donne le droit, la raison. Sorte de petit chef, elle tente de mener la danse. Et c’est avec plus ou moins de déférence et de conciliation, que les kids abdiquent. Mais dès qu’elle leur tourne le dos, ils repartent avec furie vers ce qui les constitue, le sbuja.

Danse à la fois masculine et féminine, ils sont dans la création permanente. Ils dansent par pur plaisir, disent le monde à leur manière avec subtilité et volubilité. Personne ne peut les arrêter. Si, peut-être cette danseuse d’une autre génération. Cette grande sœur qui se frotte à eux avec empathie et qu’il est parfois difficile de retenir, tant ses élans d’aller vers cette jeunesse la dépassent. Cette femme (née dans les années 70, n’ayant donc pas le même vécu) face à ces cinq jeunes hommes, est à la fois celle qui contient, qui guide, mais aussi celle qui reçoit cette énergie différente, en devenir. Affranchis des codes qui lui appartiennent, les danseurs l’interpellent sur ces derniers. Ils en créent de nouveaux.

Ce qui émeut lorsqu’on les voit évoluer, c’est que leur danse et leur présence n’a rien d’un quelconque copier-coller. Tout paraît nouveau d’une fraicheur et d’une assurance excitantes. Les références ne sont ni complètement américaines, ni complètement européennes. Elles sont issues de cet incroyable métissage sud-africain.

La majestueuse silhouette de latex (tenue qui évoque une sorte de masochisme dont on ne perçoit pas vraiment le sens au sein du propos chorégraphique) tente parfois de les retenir et de leur montrer d’autres chemins, ils s’y glissent mais leur désir d’inventer semble plus fort. Sortie de rails inéluctable.

Avec plus ou moins de réussite, quelques moments paraissant anecdotiques (une tétine dans la bouche de l’un, du rouge à lèvres sur le visage de l’autre), elle donne agrément et permission. Les kids qui savent se tenir, jouent le jeu puis s’amusent de leurs différences.

Mamela Nyamza et le Soweto’s finest nous offrent un spectacle mêlé d’écriture chorégraphique et d’exhibitions à la manière des battles de danses urbaines. La mise en scène et en chorégraphie de ce chemin qui va de l’une à l’autre n’est pas toujours percutant et évident.

Mais l’énergie des danseurs l’emporte sans conteste comme ce que dégage cette incroyable danseuse Mamela Nyamza.

Notons aussi l’extravagante bande sonore sur laquelle ce sextet évolue. Musiques modernes issues de la scène musicale sud-africaine sur lesquelles le Soweto’s Finest danse habituellement mais aussi musique classique qui associée à cette danse montre toute la richesse de cette dernière. Ce rythme interne qui lui est propre.

Fanny Brancourt – Musée du Quai Branly Paris (Octobre 2013)

©Cyril Zannettacci