Le Ballet du Grand Théâtre de Genève 

Musique minimale, spectacle maximal ?

Minimal/Maximal: une soirée en demi-teinte (grise). Le Ballet du Grand Théâtre de Genève réunit deux chorégraphes majeurs de la danse contemporaine pour un programme autour de la musique minimale, qui magnifie la puissance et l’énergie de la danse. On retient son souffle quand le rideau s’ouvre : un immense décor mobile de soies pâles qui habille fond de scène et coulisses ondule au gré d’un air propulsé par une soufflerie. Deux danseurs, puis deux autres et puis un seul s’extraient des volutes perle du décor. Le temps est à la grisaille.

Première création que Sidi Larbi Cherkaoui ait réalisée pour le ballet de Flandres après en avoir été nommé directeur en 2015, Fall est une évocation de la saison des feuilles mortes. Et c’est au gré de Zéphyr que les interprètes, incarnation de végétal voletant dans des cieux rougeoyant, investissent le plateau pour, in fine, incarner un ensemble de 22 corps gracieux et fluides, rompus à la technique classique et prêt à relever le défi hyper-athlétique de Fall. Les danseurs se laissent porter par les lancinantes compositions d’un enfant terrible de la musique estonienne, comme des feuilles soufflées par le vent : tantôt trio furtif, puis pris dans un duo enjoué, puis en solo.

Chacun est l’allié de l’autre dans cette bataille des volontés contre l’inévitable gravité. On chute, on se relève, on s’élève et puis, le temps d’une bourrasque, on efface le souvenir même de ce qu’on vient d’exécuter. Les portés s’enchaînent à une vitesse folle, on y fait le pont aussi et autres cabrioles qui détonnent dans cet univers classique compassé. Cela détonne d’autant plus que ce trop plein de physicalité se cogne aux délicates scénographie et conception lumière de Fabiana Piccioli et Sander Loonen appelant à la sérénité, à la fluidité. Sans parler des airs méditatifs et envoûtant d’Arvo Pärt. L’automne, saison d’équilibre … Fall en manque cruellement. Dommage.

À l’origine, cette soirée proposée par le Ballet du Grand Théâtre de Genève – et intitulée Minimal/Maximal – se compose de trois courtes pièces. Fall mais également Fearful Symmetries d’Ioannis Mandafounis et Paron d’Andonis Foniadakis. La Coursive  ne présentera ce soir-là que l’œuvre de Foniadakis. Paron (« le moment présent » en grec) épouse le concerto pour violon N°1 de Philip Glass  dans un véritable tourbillon vertigineux de mouvements calés sur le tempo accéléré de la musique. Élégante, fluide, magnétique, la partition de Foniadakis est au diapason de la sensualité de l’œuvre de Glass.

On y sent la compagnie bien plus à l’aise que chez Cherkaoui, comme emportée par les vagues musicales. Une aisance qui s’explique aussi par une collaboration au long cours entre la compagnie suisse et le chorégraphe grec. Là encore, rien de bien révolutionnaire dans le langage chorégraphique de Paron, serti dans une mise en scène chic, froide (et quelque peu absconse : quid des deux demi-lunes de néon accrochées au gril du théâtre ?). Tout au plus, et c’est déjà beaucoup, le plaisir non dissimulé de voir une compagnie en état de grâce oscillant entre élans sensibles et puissance du geste. Merci pour ce moment (présent).

Cédric Chaory, La Coursive La Rochelle (janvier 2022)

Crédit photo : Grégory Batardon