CRACKz, Bruno Beltrao

Trouver les champs libres

CRACKz fait partie de ces spectacles qui ne laissent pas indifférent. Marqué d’une empreinte énergétique forte, le spectateur sort renversé. Il nous convie en effet à une exceptionnelle performance de la compagnie Grupo de rua et de son chorégraphe Bruno Beltrao. Depuis 2008, date de sa dernière création H3, l’artiste brésilien ne s’était pas produit sur la scène d’un théâtre. Il nous offre aujourd’hui avec CRACKz, un retour en fanfare. Les spectateurs ne s’y sont pas trompés, toutes les dates au théâtre de la ville étaient complètes.

La danse, Bruno Beltrao  l’a découverte à l’âge de treize ans en observant puis en prenant des cours. A la manière d’un anthropologue, il décortique la façon dont les gens bougent autour de lui, leurs gestes quotidiens. Son champ d’observation s’élargit ensuite aux clips vidéo, aux danses urbaines et notamment au hip-hop. Quelques années plus tard, il crée avec son ami d’enfance Rodrigo Bernardi, sa propre compagnie Grupo de rua. Dans les festivals, à la télévision cette dernière gagne en reconnaissance. Beltrao ajoute alors une corde à son arc, et part étudier l’histoire de l’art et la philosophie à l’université de Rio de Janeiro. Connaissances pratiques et théoriques constituent dès lors le socle de sa gestuelle unique.

L’entrée des interprètes sur scène est sans aucun doute un des moments les plus marquants de ce spectacle. Les premiers danseurs lancés, une course effrénée s’en suit pendant une heure. Arrivés de toute part du plateau, en trio, quatuor ou autres groupes, les interprètes mêlent vitesse et spirale pour créer un énorme tourbillon duquel on ressort lessivé, lavé de toutes les mauvaises énergies ambiantes. Les corps expulsent, se cassent, s’envolent, pour s’arrêter brusquement sur une jambe, le buste parallèle au sol. Entre verticalité et horizontalité les danseurs semblent voyager dans l’espace à la manière d’un cyclone.

Une danse brute mais jamais brutale.

Flirtant en permanence avec la rencontre, le contact accidentel les danseurs nous surprennent à chacune de leur entrée. L’énergie qu’ils déploient à fendre l’air et l’espace, à inscrire leurs mouvements sur différents plans est incroyable. Le temps ne semble pas à la réflexion. Il y a cette nécessité d’agir sans plus attendre. Une urgence. Et quand bien même le rythme change ou s’apaise, les corps sont maintenus, en alerte. Une vigilance qui les fait passer d’un point A à un point B sans qu’on s’y attende. Les spirales se déplacent, s’éteignent puis repartent s’aidant parfois du contact avec un autre danseur, parfois grâce à la seule énergie de celui-ci. Aucune rencontre fortuite, tout est millimétré dans une vitesse époustouflante qui se régénère continuellement.

Des duos apparaissent et racontent un peu plus la difficile communication, la prégnance des images. Le premier de ces duos témoigne avec maestria de tous ces éléments. Les deux jeunes hommes en fond de scène, vont voyager sur tout le plateau avec intensité. Corps contractés relâchés, de nouveau contractés, chacun avance en tentant le dialogue pouvant mener à la rupture ou à la réconciliation.

Ce qui surprend avec la danse de Bruno Beltrao, c’est cette capacité à transformer les codes de la breakdance en particulier et ceux du hip-hop en général. Il crée des espaces parfois insoupçonnés. La danse volubile est d’une telle vivacité qu’on en oublie la musique par moment disharmonieuse. Regard étonné, bouche bée, les membres légèrement tendus, le spectateur n’est pas épargné par l’énergie déployée par les danseurs de la compagnie. Qu’il est bon d’être remué de la sorte !

Fanny Brancourt, Le 104 Paris (Novembre 2013)

©Tristram Kenton / The Guardian