Noces, Aurélien Richard

D’une précision mouvante à l’émouvante perception

Plus qu’un quatuor, Aurélien Richard réunie avec Noces, une belle communauté d’artistes. Des danseurs certes Marie-Laure Caradec, Edouard Pelleray, Enora Rivière, Yasmine Youcef, d’où le quatuor, mais aussi un maquilleur Sylvain Dufour, une assistante chorégraphique-danseuse Christine Caradec, un accessoiriste scénographe Thierry Grapotte, un ingénieur du son Benoist Bouvot, un technicien lumière Bruno Moisnard.

A cour, les artistes techniciens s’affairent à changer l’espace, à modifier pas à pas ici un costume, là un maquillage. A vue sur le plateau, mais sur le côté, les gestes sont précis, vifs et mesurés. La précision est aussi une des caractéristiques de la danse des quatre interprètes qui tour à tour lancent une boucle musicale dont on entend les premières notes et dont on sous-entend la suite. Les danseurs, en ligne face public, exécutent avec rigueur un répertoire de treize postures écrites par Aurélien Richard. Pour ce faire, il s’est appuyé sur la pièce Noces composée par Igor Stravinsky, chorégraphiée en 1923 par Bronislava Nijinska.

Le chorégraphe mais aussi compositeur et pianiste (c’est en partie lui qui joue les musiques originales qui accompagnent la danse), s’attache à faire de ce répertoire chorégraphique de multiples variations. La musicalité se déplace selon les danseurs, elle prend des couleurs différentes grâce à l’oreillette dont chacun est équipé. Le registre de mouvements proposés pousse les danseurs à explorer une écriture concise, où une variété d’états de corps s’exprime. De cette précision et variation, de ces individualités qui composent un tout, on glisse doucement vers un corps collectif qui se déplace sur l’ensemble du plateau. Les danseurs/noceurs perdent petit à petit le contrôle pour laisser aller des personnalités fortes constituant chacune ce corps collectif. Et toutes « les petites mains », indispensables au propos du chorégraphe, agissant plus ou moins dans le noir à cour, se jettent alors dans cette frénésie collective et dans ces parts d’ombre et de lumière.

Fulgurance et vivacité contaminent tous les corps et créent une identité multiple comme celle qui nous caractérise. Le piano se déplace, les frontières physiques sont manipulées, transportées, la circulation des corps exacerbe un peu plus encore les états qui les traversent : l’explosion, la folie, l’équilibre, la jouissance… La noce se poursuit dans un rythme effréné. Les gestes du début et leur rythmicité ont laissé place, à un espace mobile où des relais se créent entre les différents personnages. Qui est le marié, qui est la mariée ? Les combinaisons se succèdent sans en imposer une. Peut-être sont-ils plusieurs ? De l’étranglement à l’asphyxie la noce se trouble. Dans la dernière partie de la pièce, la musique l’emporte en définissant chaque mouvement. Tout le monde reprend si ce n’est sa place, une place. De la rigueur de la composition musicale et chorégraphique originelle, Aurélien Richard tisse une toile aux multiples couches. Il décortique les matières initiales et en crée de nouvelles qui permettent à l’imaginaire de s’en détacher et d’en provoquer de nouvelles.

Fanny Brancourt – Centre national de la danse Paris (Mars 2013)

©Régine Lemarchand