L’Angela Bête – Angela Laurier

Concert rock-biographique

Après Déversoir créé en 2008 et J’aimerais pouvoir rire créé en 2010 (mise en scène par sa sœur Lucie Laurier), Angela Laurier, artiste franco-canadienne, poursuit son travail cathartique avec L’Angela Bête. Elle met en scène, en musiques, en mots, en danse son chemin de jeune chanteuse dans le spectacle Les enfants du ciel qu’elle a inspiré à ce quelle appelle le gourou sectaire auteur-compositeur Michel Conte ; sa carrière de gymnaste et par la suite de contorsionniste qui la mène sur le chemin du cirque et notamment du Cirque du Soleil mais dont elle s’éloignera assez vite en partie à cause des conditions de travail. Puis elle quitte le show business québécois. Depuis 1999, elle développe ses propres projets et crée en 2006 la Compagnie Angela Laurier.

Certains diront que cette Angela Bête, tourne en rond et surtout autour d’un seul nombril. C’est une certitude Angela Laurier comme dans ses deux premières créations parle d’elle, s’en éloigne un peu mais y revient sans cesse. Pari difficile. Faire d’une histoire personnelle et individuelle une création artistique offerte au public et dans lequel chacun pourrait se retrouver. Pari qui est à mon avis grandement relevé. Sans que l’on sache parfois comment le singulier tend à l’universel.

Tout commence donc par cette traversée tourmentée, en petite robe blanche, du monde sectaire de Michel Conte pour qui elle chante adolescente. Angela chante avec la petite fille de 14 ans qu’elle fut. Des textes d’un manichéisme étouffant, à l’image de cet escalier figurant l’ascension et le monde du show business, mêlé de mièvrerie sirupeuse : « Le mal c’est le bien qui s’arrête parce qu’il est fatigué… ». En deux, trois scènes, l’artiste réussi à nous mettre mal à l’aise. Faut-il rester ? Va-t-elle poursuivre ce tour de chant nauséeux écrit par un homme qui ne l’est pas moins ? On la sent fragile, ce petit corps de femme (malgré ses 51 ans) d’habitude souple, peine à trouver l’équilibre. Le mal être est commun, il résonne autant dans son corps que dans le notre. Jusqu’à ce moment où l’on change d’univers.

Le chemin se poursuit dans cette adolescence exceptionnelle, entendons ici, unique. On souffle, on rit, on respire alors. Elle met en scène les quatre musiciens (totalement remplis de ce monde si particulier) qui l’accompagnent. Leur fait porter des shorts rouge, fait exister ces corps souvent cachés derrière leurs instruments. Tout en étant le faire valoir de cette gymnaste et acrobate incroyable, ils prennent l’espace, s’agitent, remuent, dansent autour du premier rôle. Moment de jubilation, ironie grinçante d’un entrainement approximatif. Angela Laurier prend la parole, la donne, l’exagère. Sorte de woman show, elle se nourrit de tout ce qui se passe, de tout ce qui s’est passé. Entre improvisation et écriture, elle fonce, charge, attaque. Et s’interroge « Qu’est-ce qu’on raconte ?… Vous êtes en souffrance, faut trouver le plaisir… »

L’escalier se transforme alors en maison, celle de l’ouest canadien dans lequel elle a vécu enfant quelques années. Et cet ours qui rôde et qui ne veut pas « s’en retourner » comme dirait les québécois. Il a faim cet ours, peut-être faut-il lui sacrifier mon corps pour que rassasié il laisse la famille tranquille ? Chaque moment du spectacle est propice à des questionnements, des constats qui prennent tout leur sens et leur force au travers de ce corps mouvant et chantant. Angela Laurier a écrit et mis en musique des textes simples, justes « mangez-la, rangez-la, l’Angela Bête.. » qui déversent émotions et sensations. Elle dénonce, s’expose sans fausse pudeur. Accompagnée de ses musiciens, elle nous embarque voire nous débarque dans cet univers si singulier caractérisé par un acharnement à se libérer de mondes qui abîment le corps et l’âme : celui de ce gourou-auteur, celui de la gymnastique, du cirque show-business, de la télé-paillettes…

Rester soi-même à tout prix. Prendre conscience de tout ce qui nous meut. L’art d’Angela Laurier recouvre tout cela. Chanteuse à la voix incroyable, telle une Diane Dufresne ou Nina Hagen, elle bouleverse les codes, taille des costumes à ceux qui se méprendraient sur l’essentiel.

Le mal être du début, les moments d’ironie sur elle-même, de doutes, d’émotions quel qu’ils soient, font de L’Angela Bête une pièce coup de poing. On ne reste pas indifférent à cette catharsis menée généreusement. On peut ne pas rentrer dans cet univers, mais il a comme grande qualité de ne pas laisser indifférent.

On sort de cette pièce à bout de souffle, émue, désappointer, le sourire aux lèvres devant les dernières frasques, joutes verbales et physiques, qu’Angela Laurier réalise jusqu’à la sortie de la salle. L’artiste ne veut plus quitter le plateau et nous non plus. Saluons ici les programmateurs du Monfort, Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel, de nous permettre de voir de tels spectacles, de ne pas être frileux quant à des objets artistiques pas toujours identifiables, et c’est tant mieux.

Fanny Brancourt, Le Montfort (Septembre 2013)

©Romain Etienne