Cendrillon, Thierry Malandain

Sublimer l’ordinaire

C’est « pour échapper au noir des choses trop réelles, pour oublier la réalité qui saigne, l’ignorance et la bêtise, pour tenter du sublimer l’ordinaire » que Thierry Malandain, directeur du CCN Malandain Ballet Biarritz a chorégraphié Cendrillon. Inspirée par la célèbre phrase de Nietzsche « Il faut avoir un chaos en soi-même pour accoucher d’une étoile qui danse », le chorégraphe signe une relecture universelle du conte de Perrault (Grimm, et tant d’autres), pièce du répertoire de 1899 maintes fois revisitée par des artistes tels Frederick Ashton, Rudolf Noureev et plus récemment Maguy Marin…

Pour le chorégraphe biarrot, l’histoire de Cendrillon est l’accomplissement d’un rêve. Celui d’une souffre douleur orpheline empreinte de doute et rejet mais aussi d’espoir qui devient princesse choyée. Biberonné à la version de Disney, médusé celle, très « poupée », de Maguy Marin, le public connaît par cœur ce « Il était une fois ». Il assiste ici à une délicate version : la naissance d’une étoile qui danse…

Thierry Malandain aime le merveilleux, le fabuleux, les douces rêveries, le magifique. Familier du conte pour avoir chorégraphié, en 1999, les passages dansés de l’opéra éponyme de Jules Massenet, il signe un ballet en deux actes, fidèle à la partition de Prokofiev. Eminemment poétique, gentiment narratif, ce Cendrillon joue la carte de l’épure avec son décor aux trois imposants murs composés de talons aiguilles noires, sobrement éclairés. Tour à tour menaçantes grilles puis délicats vitraux de château, ces murs sont un efficace clin d’œil au fameux soulier de vair. Sans bousculer d’un iota son néoclassique reconnaissable entre tous, le chorégraphe propose une vision personnelle du conte oscillant entre tragique et humour. Aux trouvailles chorégraphiques, il préfère les scénographiques. Parmi les plus éclatantes : le Bal de Cour nécessitant, dans sa version originale, la présence d’une trentaine de danseurs. Par un heureux truchement, Thierry Malandain double l’effectif de sa compagnie grâce à des mannequins sur roulettes, revêtus de robes de galas. L’astuce fait son effet, tout comme la vision très queer du trio infernal du conte : la marâtre Madame de Trémaine et ses filles Javotte et Anastasie. Inénarrables, les trois garçons, crânes chauves et puants de suffisance, sont LA bonne surprise de Cendrillon qui prend, à chacune de leur intervention, des airs du Ballet du Trockadero de Monte-Carlo.

A la toute fin du ballet, comme chacun le sait, l’héroïne convole en juste noce avec son Prince d’époux, sous les regards non plus haineux mais embués par l’émotion de la marâtre et ses deux insupportables rejetons. Marâtre qui se saisit d’un arrosoir stylisé pour rafraîchir un corps de ballet composant, au sol, une étoile qui frémit. Cette ultime fantaisie d’un Malandain particulièrement en forme suscita, dans les jardins de l’Opéra de Versailles, bon nombre d’interprétations. Pour ma part et si je m’en réfère au « Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants » qui ponctue tout conte respectable, j’y vois une Belle-mère prenant soin de sa future descendance. Une petite graine a été plantée, un enfant va naître… De l’amour éclot toujours de bien belles histoires. Thierry Malandain le sait bien et s’en saisit pour sublimer un ordinaire toujours plus extra à ses côtés.

Cédric Chaory

©Olivier Houeix