32 rue Vandenbranden, Peeping Tom

Troublante précarité humaine

Les habitants du 32 rue Vandenbranden, réinvestissent la capitale après trois ans d’absence, dans le cadre du festival Paris Quartier d’Eté. Cette création, du collectif flamand Peeping Tom mené par le duo artistique Gabriela Carrizo et Franck Chartier, est tout aussi surprenante que la trilogie : Le jardin, Le salon, Le sous-sol ou de A louer, vu dernièrement au Théâtre de la ville.

Le 32 rue de Vandenbranden, est constitué non pas de maison mais de mobil home dans un environnement montagneux enneigé. Décalage entre environnement et habitat, qui crée dès le début une précarité physique forte. Trois mobil home forment une sorte de petite cour où les rapports entre habitants paraissent, dès les premières minutes du spectacle, ardus et précaires eux aussi. Les personnages sont soumis à rude épreuve quant aux éléments extérieurs.   

Gabriela Carrizo et Franck Chartier se sont inspirés pour cette création du film The Ballad of Narayama de Shohei Imamura. Les créations du collectif Peeping Tom sont empruntes de l’univers cinématographique. Cadrages, lumières, profondeurs de champ, il règne au 32 rue Vandenbranden une étrange atmosphère qui nous conduit à l’étonnement.

Le décor planté, une femme enfouie son enfant dans la neige, elle semble vivre avec sa mère dont elle prend soin, mais qui n’est pas la dernière à faire vibrer les voisins. Parmi eux un jeune couple, qui expose quant à lui sa passion amoureuse, dans une scène de contorsion incroyable. Par la suite ce dernier est gagné par la jalousie. Rêve ou réalité qui peut le dire ? Enfin un homme et sa monture (un autre homme) semble venir d’un long voyage. Ils font figure d’étrangers face aux autres habitants bien que chacun soit l’étranger de l‘autre et que les désirs et frustrations des uns et des autres posent question.

Faite de fulgurances incroyables autant que de silences, la danse de ces êtres tout comme les éléments et objets qui les entourent, sont secoués en permanence. Le repos intérieur ne se fait jamais. Hommes et femmes sont bousculés, et travaillés par des sentiments inquiétants la peur, la colère, l’angoisse, la jalousie… Sentiments qu’ils expriment, et d’autres qu’ils réfrènent, taisent par honte par impuissance à dire l’amour, l’amitié. Ou tout simplement parce qu’ils n’ont pas les mots.

La contraction, l’impulsion, l’élan, l’expulsion sont autant de matières physiques auxquelles les personnages se confrontent. Les corps ont une présence troublante, même si les caractères se dessinent, on est surpris par l’histoire que chacun tisse les uns avec les autres. Des rapports emprunts de tensions se créent et s’exacerbent. Nait alors une violence ordinaire laissant parfois la place à des moments de poésie. Mais le souffle reste court, on est de nouveau embarqué entre rêve et réalité. La qualité d’interprétation des artistes est incroyable, tout autant que les décors et la scénographie.

On assiste à un spectacle vivant renvoyant au cinéma de David Lynch qui laisse place au fantastique et à la marge, ou encore à celui d’Abderrahmane Sissako filmant parfaitement la suspension du temps. L’acuité du regard est perceptible. Gabriela Carrizo et Franck Cartier comme leurs interprètes sont de fins observateurs. Cette jouissance qu’ils ont à regarder le monde et à nous en faire part au travers du geste artistique, est tangible et si juste. Seul petit bémol la danse surgit par petits tableaux et reste par là-même trop fugace.

Fanny Brancourt – Théâtre Monfort (Aout 2013)

©Herman Sorgeloos