Stance II – Catherine Diverrès

Mémoire et transmission

Stance II, créé et dansé par Catherine Diverrès en 1997, à Rennes où elle dirige à l’époque le Centre Chorégraphique National de Rennes et de Bretagne, reflète admirablement son écriture poétique et chorégraphique si singulière. Il met en exergue tout ce qui fait la force de sa danse. Cette attentive attention, la fulgurance des corps, ces traversées d’un espace/temps unique, le relâchement dans la tension…

Depuis plusieurs années, la chorégraphe a décidé de transmettre ses créations à des danseurs coutumiers de son travail puisque présents sur différentes créations. Stance II, est ici repris par Carole Gomes, une danseuse qui l’accompagne depuis plus de 10 ans. Sans problème, elle s’empare du rôle de cette femme incroyable qui ne plie jamais. Même allongée, son dos continue de vibrer, sa main tendue comme un appel nous donne l’impression d’un corps vertical dans un tout autre espace.  

Stance vient de l’italien stanza -le séjour-, du latin stare -se tenir debout-, désigne une forme poétique. Le cheminement de la danseuse traverse autant l’espace qu’un temps certain. Petits pas délicats, les mains cherchent, prennent l’espace, s’y engouffrent avec émotions et fermeté.

La voix de Pasolini lisant, un de ses textes, La terra di Lavoro, accompagne cette femme dans un voyage entre nostalgie et présent. Ballade sensible, nous cheminons avec elle, sommes témoins de ses combats, de sa résistance et de ses choix. Rien n’est donné d’avance, il faut aller chercher les choses, s’y confronter pour se rendre compte de cette stance. De ce qui est parcouru, de ce qu’il reste à faire. De cette ineffable capacité à rester debout.

Stance II, fait partie de ces spectacles que l’on garde autant dans le corps qu’à l’esprit. J’ai eu l’occasion de le voir en 1997 à sa création, et la figure de cette femme/Catherine Diverrès, glissant sur le plateau, trouvant des espaces inconnus s’y jetant avec force ou retenue m’ait restée. Je la retrouve 15 plus tard avec Carole Gomes, heureuse de la voir cheminer à nouveau dans un autre temps avec cette indéfectible acuité qui la caractérise. Merci. Merci encore.

Ô Senseï, Catherine Diverrès.

Ô Senseï, se traduit par l’ancien, le grand-père. La dernière création de Catherine Diverrès exprime la filiation et la transmission qui la lie au danseur et chorégraphe japonais, aujourd’hui décédé, Kazuo Ohno.

Lorsqu’elle décide, avec son complice des premières années Bernardo Montet, de partir au Japon en 1982, pour aller à la rencontre du danseur Butô, Catherine Diverrès ne sait à quoi s’attendre. Mais elle pressent chez cet artiste une forme d’écriture unique _qui bouscule tous les codes de la danse contemporaine occidentale de l’époque_, un langage « sorte de trait d’union entre le monde des morts et celui des vivants ». Danser sans bouger, sera une des premières consignes que transmet Kazuo Ohno aux deux danseurs venus le rencontrer.

Pour Catherine Diverrès, c’est à la suite de ce séjour au Japon, que du rôle de danseuse, elle passera à celui de chorégraphe. Ô Senseï, est une façon de rendre hommage à Kazuo Ohno, et à ce qu’il défendait dans son art. « Pas d’instinct, pas de sentiment, pas de pensée.» Et à ce qui a nourrit et nourrit encore le travail de la chorégraphe.

Petit tailleur de jeune homme, gestes déliés et fantaisistes, la chorégraphe parcourt l’espace à l’image d’un Charlie Chaplin ou Buster Keaton. Puis elle se transforme ; se métamorphose au cours du spectacle. Un film projeté sur une toile blanche (réalisé par Thierry Micouin danseur/vidéaste et complice lui aussi de la chorégraphe depuis de nombreuses années) nous dévoile, puis nous cache le visible et l’invisible. Ombre, elle est ce pont, cher à Ohno entre morts et vivants. Plus tard, sur le plateau, libérée de son kimono où les lignes se dessinent avec amplitude, où la matière crée apparitions et disparitions, elle se dévoile femme dans une robe de cabaret rouge sang, faite de plumes et de paillettes. Clin d’œil à La Argentina, le solo de Kazuo Ohno qu’elle découvre à Paris en 1981, et qui la bouleversa.

Catherine Diverrès avec Ô Senseï, nous ouvre les portes de son univers et de ce qui constitue son écriture chorégraphique. Ces moments de vide tellement pleins. Cette intériorité caractéristique d’une danse puissante, chargée de sens sans jamais être pesante. Un engagement permanent du corps qu’il soit en mouvement ou non. Tout est donné. Générosité qui se prolongera bien après le spectacle lors d’une discussion sur son travail et cette rencontre fondamentale avec Kazuo Ohno. La filiation nous ait transmise par les corps de ces deux danseurs, réunis à travers cette création. Voire bien au-delà des corps…

Fanny Brancourt – Théâtre national de Chaillot (Novembre 2012)

©(DR)