Love – Loïc Touzé

Corps neutres, corps pleins

Pièce créée en 2003, Love tourne toujours de manière régulière. Elle est ici accueillie au Centre National de la Danse, à l’occasion de la parution du livre Danse Cinéma dirigé par Stéphane Bouquet et auquel Loïc Touzé a participé.

Partir de rien, pour aller vers le tout, pourrait être un des principes que se sont donnés les chorégraphes Latifa Laâbissi et Loïc Touzé, pour cette pièce. Ils sont six interprètes, en short et t-shirt bleus, le visage blanchi, les lèvres peintes d’un rouge éclatant _ à entrer et sortir du cadre, pour nous inviter à un voyage sensoriel et sensible.

A l’écoute, les danseurs placés hors plateau, montent les uns après les autres sur une petite scène bleu ciel. Le premier pas sur cette scène comme le dernier, sont l’occasion de nous faire face. Un visage neutre, sans émotion, sans affect nous est offert, au début et à la fin de chaque séquence. Ceci, sans doute, afin de mieux goûter chacune d’entre elles.

Que ce soit des scénettes de dispute et de coups bas, de terreur, de swing, d’animalité, de duel et bien d’autres choses encore, ce procédé du corps neutre incluant bien entendu le regard, permet au spectateur d’entrer en empathie avec les danseurs.

Il préexiste une forme de légèreté – en même temps qu’une conscience aigue de ce qui peut se produire à chaque entrée sur scène – qui se développe avec l’écoute instaurée par les interprètes, en une puissance d’incarnation des rôles qui leur sont attribués. Rien n’est fait au hasard. Si l’on entre sur le plateau c’est pour proposer quelque chose. Y être pleinement, « du bout des pieds au bout des yeux ». Chaque geste, regard, déplacement, émanent d’une nécessité intérieure et participent à la création d’une petite histoire avec un début, un développement et une fin comme au cinéma.

Aussi nous pouvons être effrayés par ces visages eux-mêmes pleins de peurs, ces corps qui se rétractent et prennent, par le fait d’un dispositif simple (cette petite scène bleu-craie, l’absence de musique, une lumière unique) une force d’évocation incroyable. Ou touchés par cette légèreté de corps qui tentent le swing et à leurs manières le trouve. Sans artifice, les danseurs jouent avec leur musicalité intérieure, et nous la donnent, droit dans les yeux. Pas question de se soustraire au regard de l’autre et notamment du spectateur. Celui-ci est toujours pris en considération. Comme au théâtre les corps s’adressent à lui. Regardez-nous, nous allons-vous emmener dans des territoires connus et inconnus ! Laissez-vous porter …

Et l’on se laisse volontiers porter et transporter vers ces lieux qui traduisent souvent cette légèreté de l’enfance et du jeu. A l’image de cette séquence, où tour à tour les danseurs se pincent, se tirent les cheveux, se donnent des petites claques qui deviennent grandes. L’affrontement n’est qu’un jeu de provocations enfantines, qu’on abandonne souvent adulte mais qui font tant de bien parce qu’on éprouve pleinement son corps autant que celui des autres.

Fanny Brancourt – Centre national de la danse Pantin (Octobre 2012)

©Jocelyn Cottencin