Les yeux dans les yeux, Geisha Fontaine et Pierre Cottreau

Philosophie du regard

Les yeux dans les yeux la dernière pièce de Geisha Fontaine et Pierre Cottreau, a pour point de départ le traité de l’Iris du philosophe Spinoza. Egarés au Japon, les deux chorégraphes se mettent en chemin pour le retrouver. Ce voyage philosophique est une façon d’interroger la danse, le mouvement en général et le corps en particulier.

L’aventure entreprise par le duo complice, nous est restituée sur scène. Elle commence par un déplacement très lent, pendant lequel la chorégraphe se dévêt tranquillement, sur fond de musique japonaise désuète, de tous ses apparats : kimono, chaussures, perruque, éventail.

Ce n’est plus la Geisha femme typique de la culture japonaise et de notre imaginaire que l’on voit, mais Geisha Fontaine elle-même, enfin pas tout à fait car ses cheveux longs et noirs eux-même signes de la personnalité de la chorégraphe, sont cachés sous un faux crâne qui la rend chauve. Le voyage commencé au Japon pour retrouver ce fameux traité peut continuer. Un film relatant le début de l’aventure est alors projeté. La voix off (celle de Geisha Fontaine) nous explique, parfois un peu laborieusement, les péripéties que recouvrent cette aventure.

Retour sur le plateau, elle s’adresse alors directement à nous pour nous entretenir philosophie et regard. Moments beaucoup plus intéressants lorsqu’elle s’adresse à nous frontalement, pour nous parler du traiter et de toutes ses applications. Applications qu’elle tente de mettre en œuvre et de nous faire éprouver physiquement. Puisqu’il s’agit de corps. Regarder c’est faire, Regarder comme ils regardent, la notion de regard multiple, des yeux dans tous les pores de la peau… voici quelques unes des notions abordées et examinées de plus près avec le concours des spectateurs. Là encore, (on l’a vu dernièrement avec la dernière création de Veronica Vallecillo, Le vrai-faux film muet qui vous parle !) cette pièce invite le spectateur à imaginer, à être actif. Concerné lui-même par toutes ces questions du regard, il est venu voir un spectacle vivant.

Mise en pratique d’un regard qui serait différent si l’on change de lunettes, Geisha Fontaine s’essaye à toutes sortes de lunettes de soleil qu’elle accumule sur son visage, sur son front, sur son crâne, dans un va et vient aux rythmes variables mais toujours claquants. Scène pleine d’humour dont la chorégraphe se délecte et nous aussi. Il y a dans le travail de Pierre Cottreau et Geisha Fontaine souvent beaucoup d’esprit et d’ironie. Un désir constant de faire réfléchir le spectateur. Etre sérieux sans se prendre au sérieux, pourrait être une des maximes du couple.

C’est cette volonté de partager et la fraicheur qui l’accompagne, qui touche dans Les yeux dans les yeux. Une autre scène évoque bien toutes ces qualités. Lorsque Geisha Fontaine accompagné d’une Geisha qui s’avère être un homme une fois le kimono défait, (là encore on aurait tendance à croire ce que l’on voit, mais ce que l’on voit est-il vraiment la réalité ?), nous parle de l’emballage, de l’emballeur et de l’emballé : de ce que l’on projette lorsqu’on emballe un cadeau, comment on l’emballe selon la personne à qui il est destiné… Cette simple variation nous fait voir les choses autrement. Comme ces japonais que l’on voit dans le film de Pierre Cottreau, qui sur un site touristique, la tête entre leurs jambes écartées, regardent le paysage d’une autre façon. Chacun prend la position. Sans doute y a t-il vraiment autre chose à voir, à saisir. Il faut le vérifier, l’éprouver pour s’en rendre compte.

Les yeux dans les yeux, nous entraine au-delà du Japon, au-delà de Spinoza, au-delà de la danse à nous interroger dans le plaisir, sur comment regarder les choses, comment les rendre visibles, qu’est-ce que voir… et sur bien d’autres choses encore que l’on n’a pas vu.

Fanny Brancourt – Centre National de la Danse Pantin (Février 2013)

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