Oedipus / bêt noir – Wim Vandekeybus

Les pieds enflés, il chercha chaussures adaptées

Pour cette dernière création Wim Vandekeybus s’est associé à l’auteur, comédien et metteur en scène Jan Decorte. Ensemble, ils revisitent le mythe d’Œdipe. Sans suivre une quelconque chronologie, le chorégraphe, incarnant lui-même Œdipe, chemine, avec une certaine délicatesse, au début du spectacle, vers son destin. Sa danse est légère et insouciante. Puis les flash-backs mettant en scène le mythe, l’entraînent dans une folle spirale. Cette dernière le conduisant inévitablement vers la réalisation de la prédiction des oracles : parricide et inceste.

Sur scène, les voyageurs arrivant à Thèbes, butent face aux énigmes du Sphinx. Celui-ci figuré par une grande structure ronde, faite de cordes, et recouverte de tissus colorés, engloutie les hommes, où leur sert de refuge. On y grimpe, on s’y cache. On se laisse choir aux pieds de cette imposante figure. Oedipe lui, résout l’énigme du Sphinx et tente d’en débarrasser la ville.

Les corps des danseurs-acteurs et musiciens, (ils sont seize à investir le plateau avec fougue et ardeur) sont d’abord figés, glacés. On passe du mode lecture en mode pause. Les corps se déplacent, se figent, sont transportés ici et là. Gardent la pause. Peu à peu, ils s’animent, s’assouplissent, exultent, « s’humanisent » pour nous jouer la tragédie à venir. De larges courses émergent alors du Sphinx, les turbulences apparaissent. Roulades, sauts, accélérations s’enchainent avec frénésie.

Wim Vandekeybus et sa compagnie Ultima Vez nous offre, avec cet Oedipus/bêt noir, un foisonnement d’images : poétiques _ allusion à ces scènes où l’on tente la photo de famille avec sourires forcés _, prosaïques _ comme ce morceau de viande crue haché par Tirésias (le devin qui ne cesse d’alerter Œdipe sur son sort) et transmis à Jocaste et Laïos les parents d’Œdipe _, insoutenables _ une des premières scènes, est celle d’un enfant qui se fait sodomiser.

Le chorégraphe flamant met le spectateur sous tension permanente. Il n’y a pratiquement pas de respiration. Si la tranquillité s’invite musicalement, elle est contre carrée par le texte tranchant et sans fioritures de Jan Decorte. Œdipe pense pouvoir se soustraire aux prédictions de l’oracle. Il fuit Corinthe et par là-même se dirige droit vers ce qu’il veut éviter. La folie et la noirceur des êtres grandissent. Rien ne peut empêcher l’intranquillité de ces vies mêlées à ce macabre destin.

La force de Wim Vandekeybus est de nous prendre physiquement dans ce tourbillon incroyable. La musique, le texte, comme la mise en scène et la danse, ne laissent pas de place au repos. C’est seulement lorsqu’Œdipe est sauvé de la mort que l’on peut expirer, et esquisser un sourire à la dernière photo de famille, sans réelle famille.

Fanny Brancourt – Théâtre de la Ville Paris (Décembre 2012)

©Danny Willems