Hans was Heiri, Zimmermann et de Perrot

Prendre place

Hans was Heiri, (titre de la dernière pièce du duo de Perrot/Zimmermann, créée en 2012), est une expression suisse-allemande, qui signifie : « au bout du compte, c’est du pareil au même ». De Perrot et Zimmermann, nous entraînent avec cette nouvelle proposition dans un grand jeu de cache-cache. Dans la première partie du spectacle, chaque personnage est introduit avec des caractéristiques qui lui sont propres. Tous aussi singuliers les uns que les autres. Une grande femme en escarpins se balade avec son sac en bois. Une autre, petite, se faufile et se cache en permanence. Un maître de cérémonie (Zimmermann lui-même) tente d’organiser ce monde fait d’objets et d’humains, pas toujours adaptés les uns aux autres. Un « homme rebond » cherche à s’asseoir sur un tabouret mais n’y parvient jamais. Son corps s’échappe, fuit dès qu’il touche une partie de l’objet. Un homme, long, aux chaussettes longues elles-aussi, short court et casquette américaine, se déplace le dos courbé les genoux fléchis. Il nous surprend par le swing avec lequel il chante. Un autre homme, à lunettes, habillé d’une veste et d’un pantalon dépareillés, à la limite du mauvais goût, affirme assurance et détachement vis à vis des autres. Enfin, en bord de scène Dimitri de Perrot œuvre quant à lui, à l’aide de ses platines et diverses pédales, à tisser le fil sonore et musical entre tous ces personnages.

Puis, petit à petit les choses se dérèglent, les vêtements s’échangent, les postures s’inversent. L’empathie s’éprouve. Chacun part de sa singularité pour aller se confronter à l’autre et à son univers. Pour à la fin, se rendre compte que Hans was Heiri. De la présentation des personnages à leurs rencontres les uns avec les autres, tout est traité de manière loufoque et cocasse.

Une des grandes qualités du travail de ces deux complices, est ce souci du détail. Que ce soit un geste, un élément de décor, chaque chose est pensée dans sa particularité afin d’être poussée à son extrême et transcendée. Rien n’est gratuit. Emergent alors la poésie et le burlesque. Le quotidien est déporté, transporté. Il prend des allures qu’on ne lui connaissait pas. Comme dans tous les spectacles du tandem de Perrot/Zimmermann, le décor est une entité à part entière : la matière première de toutes les frasques de leurs interprètes à la fois circassiens, comédiens, danseurs, clowns.

Cette fois-ci, ils ont eu l’idée d’une grande roue faisant tourner quatre cubes qui en composent un plus grand. Sorte de maison de poupées qui n’a pourtant rien à voir avec une maison de poupées, si ce n’est le découpage de l’espace. Les pièces sont peu habillées. Une chaise ici, une table là. Mais des portes, des trappes, plus ou moins visibles, permettent de passer d’un cube à l’autre. Ces pièces sont habitées par des gens de passage. Parfois ils s’installent à une table, se retrouvent la tête en bas, participent à une séance de yoga dans l’étroitesse d’un des cubes, ou glissent d’une pièce à l’autre. A l’image d’un grand manège, les artistes tentent de trouver l’équilibre, ou au contraire se laissent emporter par le rythme de la roue. Le tout est de ne pas perdre la face. Les axes sont incertains.  Les corps vacillent plus ou moins, jouent avec la gravité. Rigides, ils cherchent les limites de la chute, indolents, ils se laissent choir sur les cloisons de chaque pièce. C’est dans cette quête visant à faire face quoi qu’il en soit, que les artistes nous surprennent, nous désarçonnent, nous émeuvent.

En plus de cette grande roue, il y a, notamment au début du spectacle, des encadrements de portes, des portes sans encadrements, des tables coupées en deux, un tabouret, un cube, de petites colonnes de bois parsemées sur l’avant-scène. Chaque chose est l’occasion d’une figure, d’une histoire, d’un jeu.

Après Chouf Ouchouf, leur avant-dernière création réalisée avec des acrobates de Tanger, de Perrot et Zimmermann, signent avec Hans was Heiri, une autre pièce pleine d’humanité. Une humanité avec ses travers et ses qualités. Pièce chorale (il faut noter les qualités physiques et d’interprétation de tous les artistes présents sur scène), les metteurs en scène nous parlent sérieusement sans jamais se prendre au sérieux et en recevant les erreurs, les décalages comme des cadeaux. Hans was Heiri est un excellent remède à la morosité ambiante.

Fanny Brancourt – Théâtre de la Ville Paris (Février 2013)

©Alastair Muir