Desh – Akram Khan

Tourbillon biographique et artistique

Akram Khan revient au Théâtre de la ville, où la plupart de ses pièces ont été diffusées, avec un nouveau spectacle, Desh. Le danseur né à Londres nous invite à un incroyable voyage empli de sensations. Il s’agit cette fois d’un solo. Une création liée au pays d’origine de ses parents, le Bangladesh. Pays de terre et d’eau. Traversé selon Akram Khan par la tragédie et la comédie. La vie y est à la fois douce et fragile de part son environnement.

Pour Desh, Akram Khan s’est entouré de nombreux collaborateurs (comme il aime à le faire), notamment de l’écrivain Karthika Nair, du designer visuel Tim Yip, du musicien Jocelyn Pook mais aussi du décorateur Sander Loonen. Il est important de citer toutes ces personnes car chacune d’entre elles a une part importante dans le propos du chorégraphe. Desh prend la forme d’une super production non dénuée d’intérêt, c’est certain, mais avec une machinerie tellement forte qu’elle est un personnage à part entière qui parfois efface le danseur et son sujet.

Après avoir séjourner quelques semaines au Bangladesh, Akram Khan est revenu chargé d’histoires, de sons, de mots, de matières, d’odeurs, de couleurs et de tant d’autres choses encore. De ces moments vécus, des personnages fictifs ou vivants (son père et la relation à celui-ci, mais aussi son grand-père qu’il met en scène à travers un conte cruel) ont émergé. Ils ont constitué le socle de différentes récits, qui sont autant d’évocations de l’Histoire du Bangladesh que de l’histoire personnelle d’Akram Khan.

La richesse de ce spectacle tient sans aucun doute dans cette manière très singulière du chorégraphe, de dire le monde et d’y inviter des personnages de toutes sortes. Il est aidé, comme on l’a vu plus haut de différents artistes, mais il est le seul être vivant sur scène qui relie les choses afin de leur donner du sens. Il porte haut et fort les personnages invoqués. Il est celui qui dit (en anglais, en bengali), celui qui fait (de l’acte quotidien figuratif au geste spirituel), celui qui regarde. Homme orchestre, il fait vivre tout ce monde et l’environnement de chacun autant que les sensations qu’il traverse.

Akram Khan incarne, à mon sens, la spirale. Sa danse est faite d’aller et retour entre la terre et le ciel. Entre le dedans et le dehors. Le spirituel et le rituel. Elle imprime un mouvement continu. D’une puissante légèreté et présence, le chorégraphe est ancré, enraciné au plus profond. S’il s’échappe de cette terre nourricière, avec bonds et rebonds, courses frénétiques, c’est toujours pour y revenir et s’en imprégner un peu plus. Elle est le lieu de toutes ces nourritures spirituelles et terrestres. Et il paraît indispensable de s’en rendre compte pour ne pas se perdre.

La perte est une sensation qui peut gagner parfois le spectateur. La pièce dure plus d’une heure vingt et il n’est pas toujours facile d’être attentif à toutes les propositions et histoires du conteur Akram Khan. Celles-ci paraissent de temps en temps décousues ou fragmentées, et la fluidité de l’ensemble s’éloigne. D’autant plus qu’avec toutes les formidables trouvailles du designer visuel Tim Yip et du décorateur Sander Loonen, la magie est omni présente. On est très souvent subjugué… peut-être un peu trop. Le danseur au milieu de ces éléments créatifs forts est un petit peu écrasé. Il n’est pas toujours aisé de retrouver sa place de mettre d’œuvre.

Desh, est un spectacle à voir, car il nous fait traverser de nombreuses sensations. Notamment cet incroyable moment où Akram Khan joue avec le haut de son crâne chauve peint simplement afin d’y faire apparaître le visage d’un de ses personnages. Les yeux en permanence tournés vers le sol, l’illusion est totale. Il le fait vivre avec force et puissance. Des moments forts surviennent tout au long du spectacle sans pour autant constituer, en ce qui me concerne, une œuvre inoubliable. Ou du moins un spectacle incroyable du début à la fin, comme a pu l’être Zero degrees, créé avec Sidi Larbi Cherkaoui. Pourtant de nombreuses personnes dans la salle se sont levées pour saluer le chorégraphe, pourtant le travail de ce danseur est très touchant… à vous de voir.

Fanny Brancourt – Théâtre de la Ville Paris (Décembre 2012)

©Richard-Haughton