Fouad Boussouf

Le hip-hop épicé-métissé de Fouad

Du 21 au 24 juillet la compagnie Massala proposera Déviation au public du 25ème festival Transnational des artistes de la rue de Chalons- sur- Saône. Occasion parfaite pour Fouad Boussouf de nous en dire sur sa compagnie hip-hop qui fête ses 10 ans.

Parlez-nous de vos débuts dans la danse.

Je suis arrivé en France en 1983, en pleine période de l’émission H.I.P H.O.P et du clip Thriller de Michaël Jackson qui m’avait alors fait forte impression. Dès les années 90, autodidacte, je dansais avec 3-4 amis avant de suivre des cours de danse jazz au sein d’une école municipale à Romilly-sur-Seine (près de Troyes). On remportait des concours qui nous donnaient droit à des stages gratuits auprès de chorégraphes de renom comme Peter Goss ou Wayne Barbaste. Mon arrivée sur Paris, en 1998, dans le cadre de mes études en Sciences Sociales, m’a permis de prendre des cours dans les centres de formation de Rick Odums, à Cité Véron ou chez Harmonic, sans oublier un passage au Conservatoire de l’Hay-les- Roses où j’ai suivi un cursus de danse classique et contemporaine. C’était aussi l’époque de mes premières auditions. Mes études universitaires étaient très axées sur la pédagogie, la transmission de savoirs. J’ai d’ailleurs soutenu un mémoire ayant pour thématique « La danse hip-hop : vecteur d’intégration sociale ou repli identitaire ? exemple des jeunes maghrébins  ». Toutes ces expériences  m’ont amené naturellement à creuser un peu plus l’univers de la danse hip hop, entre la pratique et l’enseignement.

La compagnie Massala fut la suite logique de ce parcours ?

En fait la création de ma compagnie en 2001 fut purement administrative. Il fallait le faire car, étudiant, je donnais beaucoup de stages en France ou à l’étranger. J’ai enseigné durant 4 ans l’histoire et la sociologie de la danse hip-hop en tant que chargé de TD.  En 2005, une autre étape fut franchie avec ma première pièce S lui S elle, une création de 25 minutes imaginée avec des danseurs hip hop et contemporains. Ce fut un vrai plaisir ! On l’a fait de manière très spontanée, comme un coup d’essai. Je me testais en quelque sorte. Pour moi je savais que je voulais me diriger dans cette voie mais il me fallait me lancer. S lui, S elle m’a profondément bousculé, fait réfléchir sur la danse et les idées reçues que je pouvais en avoir. Mûrir aussi.

Le massala est un mélange d’épices. Votre compagnie, elle aussi, aime à métisser le hip-hop…

Je crois que ma danse ressemble aux hommes et femmes que je rencontre : elle est plurielle. Enfant, dans mon quartier, j’ai grandi avec des familles venues du Laos et du Cambodge mais aussi avec des portugais, des antillais. Dès que nous dansions, nous avions chacun notre manière de voir les choses. Au moment de créer la compagnie, mon amie de l’époque, originaire de Pondichéry, m’a suggéré le nom de Massala, cette sauce épicée que j’apprécie beaucoup. Elle trouvait ma danse riche de diversité et pensait, à juste titre, que cela collait parfaitement à mon univers. Comme je ne souhaitais pas mettre mon nom et prénom en avant, j’ai gardé cette belle idée.

Vos pièces semblent toujours connectées aux maux de la société.

Je pars du concret pour aller vers l’abstrait. En fait chaque création se nourrit de faits. Il y a des évènements marquants pour moi, qui me font réfléchir et au final créer une œuvre. Zoom, par exemple, parle du fait que je n’ai jamais senti un décalage entre mon arrivée du Maroc et mon intégration en France. Ce décalage, je l’ai ressenti 10-15 ans plus tard, après une longue période d’exil où j’ai parcouru le monde. Zoom avait un cadre technologique très élaboré. Le danseur y était filmé en gros plan et les images retranscrites sur un écran. Il y avait donc deux visions pour le spectateur : une vision générale du plateau et une plus serrée, plus intérieure. Je souhaitais pointer cette dualité entre l’image que l‘on a de soi et l’image que l’on projette. En quelque sorte : « Qui suis-je et comment suis-je perçu ? »

Pour Déviation, ce sont les émeutes des banlieues en novembre 2005 qui m’ont remué. J’étais à l’étranger et les médias renvoyaient alors une image des banlieues faussée à mon goût. Une question me taraudait : Pourquoi les jeunes brûlaient les voitures, ce symbole de liberté, cet outil qui leur permet de s’extraire de leur cité ? Je ne comprenais pas cela. J’apparente cela à un suicide collectif en quelque sorte. Et puis je souhaitais avec cette création aller vers l’autre. Pourquoi beaucoup de spectacles de danse sont boudés dans certaines banlieues ? Pour contrecarrer ce constat, Déviation s’est déplacé, in situ et gratuitement.

Justement la compagnie Massala multiplie les missions en direction des banlieues !

Mais c’est un devoir de toucher le public. Toucher cela veut dire aller à sa rencontre, dialoguer. Être d’accord ou pas n’est pas grave, il faut entamer un dialogue avec son prochain, discuter, produire sainement de la pensée. Tous les métiers ne le font pas et l’art a cette faculté, donc utilisons-là. Dans le monde dans lequel on vit, cette pensée n’est pas quantifiable et difficilement saisissable pour les scientifiques, les pragmatiques. Qu’importe que la production de pensée coûte chère, qu’elle ne soit pas rentable économiquement, elle est primordiale à mes yeux car elle peut faire changer des comportements. Un spectacle de danse peut aussi provoquer de l’évasion, en plus de la réflexion. Cette évasion fait un bien fou pour des populations qui bien souvent sont empêtrées dans un quotidien trop prenant. Déviation est ma première pièce in situ et elle m’a ouvert un champ des possibles que je ne soupçonnais pas. J’aimerais poursuivre dans cette veine.

Le hip-hop s’est institutionnalisé depuis que Kader Attou et Mourad Merzouki ont pris la direction de deux Centres Chorégraphiques Nationaux. Danger ou victoire pour le street-art ?

Je ne pourrais pas dire que ce n’est pas bénéfique car grâce à ses deux CCN, la compagnie a pu mettre au point A Condition. Ces nominations n’ont en rien dénaturé le hip-hop. Ce style évolue avec son temps, saisit des opportunités, grandit et mûrit naturellement. Les jeunes qui font du hip hop maintenant reproduisent des pas de la première génération, mais avec leur propre feeling, leur propre touche. Il faut s’inscrire dans l’évolution. Kader et Mourad m’aident dans la mesure du possible je pense. Je les remercie au passage d’ailleurs. Ils ont beaucoup de responsabilités, de devoirs et doivent défendre leur vision de la danse, un univers qui leur est propre. Je crois aussi qu’aujourd’hui ils doivent fournir beaucoup plus de boulot que d’autres chorégraphes car ils se doivent de relever un pari, celui de donner à la danse hip-hop ses lettres de noblesse.

Et le Maroc, aimeriez-vous, à l’instar de Nacera Belaza ou Abou Lagraa, former de jeunes danseurs maghrébins ?

Oui j’ai cette volonté de créer des ponts entre la France et l’Afrique. Nous travaillons dans cette direction pour la prochaine création… Le Printemps Arabe a fait bouger des lignes déjà très fluctuantes depuis quelques années. Des festivals comme ceux du Caire, de Damas ou de Carthage ont prouvé que de la production de pensée, du courage des artistes locaux pouvaient sortir de grandes idées. Quand un pays n’a plus d’artistes, il faut toujours s’en inquiéter ! Ils disent ce qui ne se dit pas, ils font ce qui ne se fait pas. Être non conforme crée des propositions insolentes et salvatrices. Donc oui Massala veut accompagner ces artistes. Vous en saurez plus à la rentrée !

Propos recueillis par Cédric CHAORY (juillet 2011)

©Karo Cottier