Octopus – Philippe Decouflé

Octopus la dernière création de Philippe Découflé nous entraîne dans un univers chargé de couleurs, de musiques, d’images. Le spectacle se compose de huit tableaux qui pourraient être vus indépendamment les uns des autres (le spectacle y gagnerait sans doute en légèreté). 

Huit danseurs, deux musiciens exceptionnels Labyala Nosfell et Pierre Le Bourgeois, un comédien/conteur Christophe Salengro (complice de toujours, il apparaît dans une vidéo projetée un écran en fond de scène) dévoilent un monde empli de poésie et de magie.

La poésie est un élément récurrent dans le travail de Philippe Découflé. Elle se manifeste grâce à la mise en scène des corps, à ce qui les relie et les différencie. Les corps sont à la fois uniques et multiples. Il joue avec les différences pour mieux les apprivoiser. Lors du premier opus, un personnage, un être double apparaît. Selon le profil qu’il nous présente (par le jeu du costume) il est à la fois femme et homme. La danse prend alors les chemins de la poésie et de l’humour, on se laisse complètement guidé par cet être.
Le mélange des genres fait partie des interrogations du chorégraphe comme lors de ce duo entre une danseuse blanche et un danseur noir. A la différence des genres (les danseurs dansent pratiquement nus) s’ajoute la différence de couleur de peau. Les mains des deux danseurs initient des mouvements dans lesquels l’un devient l’autre, jusqu’à ce que l’un et l’autre ne deviennent qu’une seule personne. Ils nous offrent une danse de la dualité puis un corps à corps des couleurs où chacun devient petit à petit le prolongement de l’autre. Tout se mêle et s’emmêle. Un autre tableau nous questionne sur cette multiplicité constitutive de notre être avec cette femme « shiva » qui possède elle six bras. On connaît de Philippe Découflé cette propension à multiplier un membre du corps par des jeux de miroir, par l’alignement des corps ou tout autre effet. Faire exister le corps dans toute sa complexité et sa simplicité, l’emmener vers des chemins qui nous paraissent improbables.
Comme souvent dans les spectacles de la compagnie DCA, la vidéo prend une place importante. Elle nous propose d’autres points de vue, d’autres façons d’aborder les choses. Dans Ocotpus, elle est utilisée avec la lumière à la fois comme le révélateur mais aussi le fixateur éphémère du geste.Tous ces éléments participent à la mise en valeur d’une danse ludique et poétique qui parfois est verbalisée, projetée vers le spectateur comme autant d’affirmations et d’interrogations sur ce corps commun. D’octopus à corpus la frontière est subtile. 
Octopus est un spectacle riche (et cher au vu des moyens mis en oeuvre pour qu’il puisse être réalisé tel que pensé) de tout ce qui le compose. Et ce autant par la qualité des interprètes, du travail vidéo, de la conception des lumières et surtout de la composition musicale et pourtant quelque chose ne prend pas tout à fait. Tout ce qui nous est dit ne fait que passer. Des moments visuels, des images, un air, restent quelques temps après le spectacle mais ça ne suffit pas pour en faire une oeuvre qui touche profondément et avec laquelle on vit une fois vue. Octopus nous convoque à huit tableaux différents qui sont autant de nouvelles que l’on savoure avec curiosité sur le moment mais qui ne développe pas de sensations et d’émotions au-delà du spectacle.  On a ici affaire à la beauté (ce qui est déjà très appréciable) mais il s’agit d’une beauté éphémère. Sa profondeur n’apparaît pas. 
Si l’émotion est présente malgré tout et se prolonge après le spectacle, c’est sans doute grâce à l’espace sonore créé par les musiciens Pierre Le Bourgeois et Labyala Nosfell. Ce duo complice nous invite au voyage avec des univers très variés. Tous les deux poly-instrumentistes, ils sont la force motrice du spectacle. Positionnés de chaque côté de l’avant-scène, ils encadrent le mouvement, l’explorent, l’interrogent, l’accompagnent avec subtilité, véhémence et douceur. La qualité d’écoute mutuelle qu’ils développent nous emporte très loin, bien après le salut.
Fanny Brancourt – Théâtre national de Chaillot Paris (Décembre 2010)
©Xavier Lambour