La revue a le vent en poupe. Alors que Decouflé lifte avec facétie le Crazy Horse, Dominique Boivin et Dominique Rebaud recréent leur Zoopsie Comedi, revue dont l’unique règle est celle du rythme, du divertissement et de l’image. Un des deux Dominique (Boivin) revient sur ce classique de la nouvelle danse française.
En 1986 vous co-signez avec Dominique Rebaud la revue Zoopsie Comedi. Pourquoi une recréation, 13 ans plus tard ?
Le spectacle Zoopsie Comedi a été créé en 1986 par les deux collectifs, Beau Geste (dont je faisais partie) et Lolita (dont faisait partie Dominique Rebaud), respectivement composés de 5 et 9 personnes. Se sont ajoutées à l’aventure 5 autres personnes. Au final, la revue est co-signée par 19 auteurs. 23 ans plus tard, Dominique Rebaud et moi-même ne sommes que les organisateurs de la reprise. L’idée de cette reprise est venue d’un désir d’Olivier Meyer (directeur du théâtre de Suresnes) et de Christian Lacroix, créateur des costumes de Zoopsie Comedi.
Un drôle de nom que Zoopsie Comédi pour une revue. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce titre ?
A l’époque, il s’agissait de trouver un titre à la hauteur de la démesure du projet : créer une revue à plusieurs tableaux écrite à plusieurs mains. Un de nous a eu l’idée d’aller chercher du côté des Z dans le dictionnaire et le mot « zoopsie » est apparu comme une évidence. Une zoopsie est une forme d’hallucination due au vin ce qui pour un spectacle dit de divertissement, semblait de circonstance. La Première a eu lieu dans le cadre de la biennale de Lyon en 86 et le public était installé autour de petites tables un verre de Champagne à la main !
Comment un artiste qui a suivi les enseignements très pointus du CNDC d’Angers d’Alwin Nikolaïs, de Merce Cunningham ou encore de Douglas Dunn vient à s’intéresser à la revue, genre bien souvent dénigré dans le landerneau de la danse contemporaine ?
Je crois que j’ai toujours eu l’envie irrésistible de marier ce qui ne peut l’être, de rassembler des entités vouées à vivre séparément. En 1981, j’ai eu la chance de participer à un stage avec John Cage et dans sa philosophie tous les bruits sont musique. Chez Nikolaïs, il n’interdisait jamais tel ou tel mouvement. Avec de tels maîtres, les interdits n’existent pas, donc l’idée même de rassembler la danse contemporaine et le divertissement ne se posait pas. On voit bien aujourd’hui par exemple que le cirque ou le théâtre s’associent avec la danse et que les mariages sont possibles.
Les paillettes, le strass, Broadway… Cet univers fut également à l’origine d’une de vos autres créations : Ze Bal. Un Fred Astaire sommeillerait-il en vous ?
Avant Ze Bal, il y a eu en 1993 la création d’un cabaret pataphysique La Belle Etoile. Celui-ci rassemblait à l’époque des créatures improbables. Ce cabaret se voulait incorrect et iconoclaste. Quant à Ze Bal, c’est Christine Erbé, une des fondatrices de Beau Geste qui en est l’auteur.
Zoopsie Comedi jouit d’une prestigieuse collaboration : Christian Lacroix aux costumes. Comment s’est déroulée cette rencontre artistique ?
En 1985, lors de l’élaboration de Zoopsie Comedi, plutôt que d’aller chercher un créateur de costumes de spectacles, nous sommes allés voir du côté des créateurs de mode. A ce moment-là Régine Chopinot travaillait déjà avec Jean-Paul Gautier. Nous voulions nous aussi avoir affaire avec le haut niveau de la mode. En 85, Christian Lacroix travaillait pour la maison Jean Patou et nous étions très amoureux de ses créations flamboyantes… Pour les premières rencontres et comme il le précise lui-même, Christian nous a confessé l’un après l’autre puis s’est retiré assisté à l’époque par Sylvie Skinazi pour finalement créer 80 costumes d’une formidable inventivité.
Récemment Philippe Decouflé a posé ses valises au Crazy Horse comme directeur artistique. Aimeriez-vous être à la tête d’un cabaret parisien ?
Ce serait impossible de refuser une proposition de ce type car mettre la danse contemporaine au service d’un cabaret, c’est une fois de plus, marier des univers différents. Et puis à dire vrai, j’adore apprendre… En ce moment je travaille sur la reprise de Zoopsie Comedi et je travaille avec des hip hoppeurs pour les rôles dits principaux et grâce à eux j’apprends une foule de choses….
En dehors de cette attirance pour la magie de la revue, votre œuvre fait la part belle à la littérature : Marie Nimier, Andersen, La Fontaine, Eloïse et Abelard, Cervantès… Une de vos autres marottes que le livre ?
Franchement je ne crois pas être un grand lecteur ni même un grand amoureux des lettres, mais j’aime particulièrement les histoires. C’est tout de même fascinant de pouvoir se servir des mots pour écrire de la chorégraphie. C’est un moteur exceptionnel car les mots donnent des couleurs, des sons, des contextes, des paysages, des attitudes, des intentions, des motivations dont j’ai parfois besoin pour pouvoir écrire de la danse, même si je ne veux pas être assujetti au sens parfois trop lourd des mots.
Comment aborder la littérature par le geste ?
Je ne crois pas nécessaire de chercher à donner du sens absolument. Les mots sont une musique et la danse peut parfaitement faire son chemin sans chercher l’illustration. Quand j’ai travaillé avec Marie Nimier, j’ai écrit la danse indépendamment du texte. C’est seulement quand les deux ont été écrits séparément (texte et danse) que je les ai rassemblés sur scène. En général je n’aime pas forcer le sens des choses, j’essaie le plus possible d’être pudique, laisser le sens venir « presque » par inadvertance.
Dans deux ans, votre collectif Beau Geste fêtera ses 30 ans. Quels en ont été les moments forts ?
Beau Geste a vécu deux époques : de 81 à 91, une époque collective où tous les danseurs/créateurs de la compagnie avaient une part active dans les sujets, les idées, les choix. Puis en 91, j’ai pris la direction artistique que j’ai toujours aujourd’hui. Ce qui diffère entre les deux systèmes, c’est qu’il y a quelqu’un qui prend les décisions avant, pendant et après chaque événement. Cependant aujourd’hui au sein de la compagnie, les sujets sont discutés, commentés et analysés de façon collégiale. Probable que pour nos 30 ans nous organiserons une fête gigantesque, un spectacle de cabaret ou bien un livre…. Pour ma part mes moments forts dans Beau Geste ne sont pas forcément spectaculaires…
On note que la compagnie reste fidèle à ses principes originels : échange de différents points de vue esthétiques, alternance des rôles de danseur et chorégraphe… Une éthique qui tient sur la durée et en total désaccord avec l’égo un brin enflé des artistes chorégraphes, non ?
Ce dont je suis sûr c’est que nous sommes tous issus du CNDC et de l’enseignement de Nikolaïs. L’essentiel de son enseignement tient à la décentralisation soit le déplacement de l’égo. J’imagine donc que ce qui nous tient éveillés au sein de la compagnie c’est la formidable énergie créée à partir de cette décentralisation et de notre égo… Une sorte de déflagration permanente qui stimule l’imagination. Ce qui pourrait faire basculer l’artiste dans une sorte de narcissisme infécond serait justement la perte de cette décentralisation, cette distance vitale qui nous pousse à rire de nous-mêmes, à nous moquer de nos prétentions tout en restant, bien entendu, profondément intègre. Chez Cunningham, « tirer au sort » la chorégraphie c’est une forme de décentralisation, c’est faire confiance à autre chose que son égo, c’est croire au hasard comme source de découverte, plaisir et richesse.
Idem concernant votre attrait pour la singularité de vos danseurs. Depuis toujours elle vous inspire foncièrement. Vous êtes loin de l’image du despotique chorégraphe tout-puissant ?
En 81, je me souviens d’avoir assisté à une audition de Nikolaïs au Théâtre de la Ville. Il y avait à peu près 250 danseurs. Certains étaient techniquement irréprochables, d’autres étaient beaucoup plus improbables et maladroits. Au final, le choix s’est porté sur des individus que je n’aurais pas choisis et j’ai demandé à Nik s’il pouvait m’expliquer son choix. En toute simplicité et amitié, il m’a répondu qu’il était bien plus facile d’apprendre à des « personnalités » la technique plutôt que l’inverse. Dès lors j’ai toujours fait attention à ne pas me focaliser sur la virtuosité et le savoir-faire, mais plutôt comment le danseur utilisait son savoir et ce qui au fond, l’animait, le motivait.
Gai et loufoque, votre œuvre ne laisse aucune place à la noirceur, au dramatique même quand elle aborde le romantisme ou la solitude des êtres. Etes-vous un indéfectible optimiste ?
Gamin je regardais en boucle les films de Chaplin. C’était pour moi le chorégraphe idéal. Parallèlement j’apprenais la danse classique et je n’arrivais pas à joindre le langage classique avec ma vision de chorégraphe. Il a fallu beaucoup de temps et d’une certaine manière pas mal de courage pour tenter puis d’imposer ce mariage difficile : la danse avec l’humour. Je pense quand même que je suis un grand déprimé, mais je ne peux pas me résoudre à n’être que ça.
Récemment, Transports Exceptionnels a créé la sensation et vous fait voyager aux quatre coins du monde depuis 2005. Vous attendiez-vous à un tel succès ? (et la pelleteuse tient t-elle la cadence ?)
J’avais cette idée en tête depuis une bonne quinzaine d’années, mais je n’avais jamais eu l’opportunité d’y travailler. En 2005, une certaine conjoncture a facilité les choses pour que je m’y colle vraiment. De plus j’avais très envie d’écrire un solo sur Icare pour Philippe Priasso, danseur de la compagnie. J’ai loué une machine et j’ai commencé à travailler. Etrangement cela a été facile, presque évident et Philippe était l’interprète idéal malgré les grandes difficultés techniques et physiques. Il a fallu 4 ou 5 représentations pour que tout s’enchaîne de façon incroyable. 4 années après je suis toujours très ému de savoir que ce duo suscite toujours un intérêt et des réactions… Quant aux pelleteuses même si elles sont parfois agressives, passives voire molles, elles vivent un peu partout sur la planète et c’est presque sans difficulté que ce duo d’amour peut renaître aux 4 coins du monde.
Après vos pérégrinations avec la pelleteuse et cette revue Zoopsie, vers quels univers allez-vous nous embarquer ?
Tout d’abord je vais rejoindre Joëlle Léandre pour une performance, elle fait un hommage à John Cage. Puis je vais faire une maquette de travail à Prague pour un futur duo qui doit être prêt l’année prochaine, ensuite j’ai en tête 2 projets, le premier est un solo pour un hip hoppeur sur une poutre de gymnastique et le second est un film. Parallèlement j’aime beaucoup être en tournée, j’aime cette vie de vagabond et les projets s’enchaînent cette saison dont un voyage probable en Chine.
Propos recueillis par Cédric CHAORY (novembre 2009)
©Olivier Bonnet