Premier regard : Leïla Ka

Leïla Ka, tout doucement résister

À La Manufacture CDCN de La Rochelle, la chorégraphe Leïla Ka esquisse les premières lignes d’une nouvelle pièce en création. Accompagnée de la one hit wonder Bibie, talons aiguilles et corps courbé, elle poursuit sa recherche d’une féminité ancrée, puissante, débarrassée des carcans. Une sortie de résidence sous haute intensité.

Elle est arrivée lundi 27 octobre à La Rochelle, avec une paire de talons aiguilles, un tube des années 80 et un besoin impérieux d’espace. Dans la chapelle Saint-Vincent, aux pierres blanches et à l’acoustique mate, Leïla Ka a retrouvé deux de ses fidèles complices : Jane Fournier Dumet et Jade Logmo. Trois femmes, trois corps prêts à plonger dans l’inconnu. Pour cette première semaine de résidence, la chorégraphe a voulu « recommencer par le proche », ces collaboratrices de confiance qui lui permettent d’essayer sans filet, d’oser les “propositions archi nulles” comme les fulgurances.

Sous la voix voilée de Bibie, rescapée des années 1980 avec son Tout doucement miraculeusement indemne de ringardise, les trois interprètes s’élancent. Le son est doux, la scène, nue. Rien que des talons, des souffles et des respirations qui s’accordent. C’est une lente montée. Les pas se croisent, se répètent, comme une marche d’apprentissage. La répétition hypnotise. Puis les gestes se déploient, amples, ronds, presque suspendus. Jusqu’à la cassure : un mouvement brusque, masculin, un coup de poing imaginaire abattant un être invisible. Le rythme se tend, le silence se peuple. La douceur s’effrite, le trio bascule. Dix minutes à peine, créées sur les quatre premiers jours de résidence mais un souffle dense, déjà. Une évidence.

Défaire la verticalité

Cette nouvelle création – encore sans titre – s’annonce comme un prolongement et une mue. Après Maldonne* (2022), pièce coup de poing portée par huit interprètes, Leïla Ka poursuit son exploration de la puissance féminine, mais par d’autres chemins. « Moins verticale, plus terrienne », dit-elle. « J’ai envie de travailler dans la courbe, les jambes fléchies, les corps qui se délestent. »

La verticalité, cette ligne droite du corps que la danse a si longtemps glorifiée, devient ici contrainte, presque corset. Leïla Ka la renverse, l’abandonne. « Les talons sont une contrainte », ajoute-t-elle. « On ne veut pas se tenir ici dans la posture qu’ils imposent. Alors on cherche autre chose. » Ce « quelque chose » se devine déjà dans la gestuelle de cette sortie de résidence : une féminité déliée, insolente, où la beauté ne se tient plus droite mais s’étale, respire, se froisse.

À l’issue des dix minutes de work in progress offertes au public, un petit miracle s’opère : la salle bruisse d’un enthousiasme rare. Les mots fusent, simples et sincères — « c’était magnifique », « superbe », « on veut que vous le redansiez ! ». On sent déjà que novembre 2026, date annoncée de la création qui comptera elle aussi 8 danseuses, est encerclé de rouge dans bien des agendas.

La jeune chorégraphe, elle, garde la tête froide. Tout semble lui sourire, mais elle s’en défend : « Je ne pense pas trop à l’après Maldonne, on est concentrés sur ce qu’on crée maintenant. La pression, elle viendra plus tard, à la première, dans un an. Pour l’instant, on tourne beaucoup et on n’a pas trop le temps de se poser cette question. »

Comme un écho discret à Bibie, Leïla Ka, avec cette prochaine pièce, s’apprête à « changer de peau /  oublier tous les avants / fermer les yeux / se sentir de nouveau autrement ». Mais sans brûler les étapes — doucement, patiemment, à son rythme.

Cédric Chaory (texte et photo)

*Maldonne – précédente pièce également coproduite par La Manufacture CDCN Nouvelle-Aquitaine – à découvrir sur le territoire le 25 avril 2026 à Ré – Domaine culturel La Maline, La Couarde-Sur-Mer