
TADAM! La magie du symphonique à hauteur d’enfant
Actuellement en résidence de création, La Cavale travaille à sa première pièce jeune public TADAM!; Où il s’agira de faire dialoguer danse contemporaine et musique symphonique pour offrir aux enfants une expérience sensorielle inédite. Entre opéra, cartoons et poésie du mouvement, Julie Coutant entend transformer la scène en un terrain de jeu où le corps devient instrument et la musique, matière vivante. Entretien.
Dans TADAM!, comment la rencontre entre la danse et la musique symphonique peut-elle devenir un terrain de jeu sensoriel pour les enfants spectateurs ?
Au sein de la compagnie, nous avions le désir de collaborer avec Éric (NDLR : Fessenmeyer) sur un cycle de trois ans autour d’une thématique qui nous passionne depuis longtemps : la relation entre la musique et la danse. Cette exploration commune est née de notre envie de croiser nos approches respectives au sein de projets de création, en nous aventurant sur un terrain encore inexploré pour nous.
Éric, avec son travail sur Les Intervalles, approfondit la question des duos entre danseurs.ses et musicien.nes en live. De mon côté, j’avais depuis quelque temps le souhait de créer une œuvre destinée au jeune public, sans encore savoir quelle en serait la porte d’entrée. La réflexion sur le lien entre danse et musique m’a naturellement ramenée à mon envie de travailler autour de la musique classique.
Ce choix est intimement lié à mon propre parcours : ma formation au Conservatoire et mes premières expériences pédagogiques ont été fortement imprégnées par la musique classique. Retrouver ce répertoire, c’était aussi renouer avec mon enfance, avec cette part d’imaginaire, d’improvisation et de composition qui m’a toujours accompagnée. J’ai alors eu envie de transmettre ce rapport sensible et ludique à la musique aux enfants.
En réécoutant certaines œuvres, j’ai été frappée par la puissance dramaturgique et expressive de la musique symphonique — une force immédiatement perceptible et lisible pour le jeune public. L’entrée dans cet univers sonore se fait naturellement, presque instinctivement. J’ai ensuite choisi de m’intéresser aux ouvertures d’opéras : des formats courts, d’une dizaine de minutes, qui condensent une histoire entière, une ambiance, une énergie. Ces « petits actes » autonomes invitent à l’imaginaire, tout comme les poèmes symphoniques — L’Apprenti sorcier en est un bel exemple, présent dans TADAM!.
Pour nourrir cette recherche, je me suis également plongée dans l’univers des cartoons et des premiers Disney que je regardais enfin, où la relation immédiate entre musique et image déploie une physicalité très inspirante. De là est née l’idée de créer sur scène des espaces mouvants, comme des livres pop-up que l’on ouvre pour y plonger tout entier. Je souhaite proposer une expérience spontanée, vivante, où la danse et la musique symphonique s’unissent pour offrir aux enfants un véritable terrain de jeu sensoriel.
Quid de la dramaturgie pour le jeune public ?
Ce qui m’a surtout marqué, ce sont mes souvenirs émotionnels face aux cartoons et aux dessins animés de Walt Disney. Cette envie de me mettre en mouvement, de chercher une cape, une épée ou un tutu… pour revivre, refaire, remettre la musique.
Lors de la première résidence, avec mes deux collègues Armelle Dousset et Jérémy Kouyoumdjian, je me suis d’abord concentrée sur l’écoute, sur un plateau vide, laissant libre cours à l’imaginaire. Nous nous sommes demandé : qu’aimerions-nous voir ? Qu’aimerions-nous raconter ? Qu’est-ce que cela réveille en nous ?. De ces questions ont émergé des émotions variées : sombre, drôle, engagée, farceuse, et une physicalité naturelle particulièrement perceptible sur le Guillaume Tell de Rossini. Le quatrième mouvement, rythmé par le galop, est devenu un point d’entrée pour explorer le corps : sa structure, sa forme, et la manière de construire, par exemple, un cavalier dans le mouvement. À partir de cette écoute spontanée, l’équipe a généré des pistes de travail, de perception et de ressenti.
Quant aux choix musicaux, l’intention est de créer une circulation narrative : des ballades, des histoires, un véritable voyage à travers différents univers dans lesquels le spectateur peut plonger et ressortir librement.
Quel pourrait être le fil rouge du spectacle de TADAM ?
La scénographie, qui fait référence à l’opéra, constitue le fil rouge du projet, en explorant les notions d’apparition et de disparition. La scène se compose d’une base simple — tapis et cyclorama blanc — sur laquelle un rideau rouge se déploie aux trois quarts de la scène, laissant un espace derrière. Activé par une machinerie, il est manipulé au rythme des oeuvres musicales (lâché, suspendu, repositionné), ponctuant les œuvres musicales. Les costumes et les états corporels évoluent en parallèle, rythmés par le mouvement du rideau. L’idée est de faire du rideau un élément central du spectacle, générant surprises et attentes, en dialogue avec la musique et la lumière.
Sur les premiers éléments de communication, on devine une pièce très colorée, pop. Comment travaillez-vous les lumières et les costumes ?
Pour les lumières, nous explorons la création d’ambiances très spécifiques, avec des transitions marquées entre différents univers. Dans Guillaume Tell, les quatre mouvements d’ouverture sont radicalement différents : du bucolique aux sensations de tempête. La lumière devient un véritable vecteur pour immerger l’enfant dans chaque état de corps et révéler ce qui se déploie sur scène.
Pour les costumes, le travail est encore en cours. C’est une démarche un peu nouvelle pour La Cavale. Nous réfléchissons à l’esthétique et au style, mais sans chercher à créer des costumes qui feraient référence directement à quelque chose. L’enjeu principal est de préserver la lecture du corps, l’intention et la physicalité. Sans cela, le corps ne raconte plus et le récit scénique se perd.
En parallèle, j’aimerais introduire de petites références, assez subtiles pour apporter une contrainte et une spécificité de posture. Pour un jeune public, c’est particulièrement stimulant : il s’agit de donner des clés de lecture sans trop signifier, pour éveiller et nourrir l’imaginaire.
TADAM! propose des solos, des duos, des trios… Comment cela s’articule-t-il sur scène ?
J’ai pensé la pièce comme une expérience où les actions se vivent différemment selon le nombre d’interprètes sur le plateau. Au solo, le spectateur peut facilement s’identifier. Par exemple, Jérémy interprète L’Apprenti sorcier, un morceau plus grand et puissant que lui. Son costume et sa physicalité jouent de cette démesure, dans un registre légèrement burlesque. Le solo permet aux enfants de se mettre à sa place et de vivre cette expérience intimement.
Pour le duo, l’enjeu est le dialogue : comment entrer en conversation, écouter et répondre, poser une discussion en lien avec la musique. Nous travaillons sur L’Italienne à Alger de Rossini, où les thématiques s’opposent et se répondent, créant un véritable discours musical sur scène.
Le trio intervient sur Guillaume Tell, où l’engagement physique est essentiel. Les corps se déplacent, s’entremêlent dans l’espace et la physicalité devient centrale. Nous avons besoin de trois interprètes pour habiter pleinement la scène et soutenir l’énergie du mouvement.
Nous sommes tous les trois sur le plateau, parfois derrière, parfois devant le rideau. Nous jouons avec le dispositif et la préparation des actions qui vont suivre, créant ainsi un va-et-vient constant entre l’avant et l’arrière-scène.
Dans les précédentes créations de La Cavale, il n’y avait pas cette question de devant et derrière le rideau ?
Effectivement, les pièces précédentes se jouaient à vue, dans un partage direct avec le public, ou sortaient de la « boîte noire », favorisant une proximité et un espace commun. Pour ce jeune public, en revanche, je souhaitais réutiliser les outils du théâtre pour créer de la magie, du spectaculaire, de l’extraordinaire. La musique elle-même invite à cela : elle réclame un écrin qui brille, qui installe le suspense.
Le jeu et le rythme sont essentiels pour les enfants : comment maintenir leur attention éveillée ? Il faut des apparitions, des disparitions, des effets dedans-dehors. C’est autour de ces dynamiques que je construis le travail sur le rideau et la scénographie.
Quelles seront les actions de médiation auprès des 6-10 ans ?
J’ai commencé à travailler avec des écoles bien avant d’entrer en création, notamment avec des écoles complices de Poitiers et ses alentours. Nous avons mis en place de petits laboratoires d’expérimentation avec les enfants : leur faire écouter de la musique, explorer le ressenti, tester des ateliers de danse sur le rythme, la mélodie, les états de corps, l’expressivité. Ils dessinent ce qu’ils entendent, ce qui permet d’observer comment leur perception se traduit simplement et spontanément.
Pour le projet, des temps de type EAC sont prévus juste après la création, avec des restitutions. Ensuite, un protocole de médiation sera mis en place notamment avec les classes d’élèves se rendant aux représentations. Ce temps de médiation d’une heure offrira des clés de lecture sur la pièce. Avec TADAM!, il y a de multiples entrées possibles : qu’est-ce que le symphonique ? Qu’est-ce qu’un orchestre ? Quel instrument entend-on ? Comment identifier un thème ? Qu’est-ce que cela suscite comme envie ?
L’idée est de laisser émerger les premières impulsions physiques du spectateur pour ensuite construire. Partir de leur imaginaire et de leurs envies permet de créer de nouvelles pistes de composition. La spontanéité des enfants est essentielle pour cette pièce : tout doit naître de leur regard et de leurs expériences.
La pièce sera dévoilée dans le cadre du festival POUCE, impulsé par La Manufacture – CDCN Nouvelle-Aquitaine. Imaginez-vous que ce jeune public puisse également trouver un écho dans les Maisons d’Opéra ?
Je l’espère. Jusqu’à présent, les Maisons d’Opéra n’étaient pas des partenaires principaux de la compagnie, donc cette création est une belle opportunité pour nous faire connaître auprès de ces réseaux. Il faut que la porte s’ouvre. Je pense que la mise en lien se fera plus facilement avec les structures partenaires qui disposent d’un opéra dans la région.
Avec Sophie Daigne, en charge de la diffusion, nous avons beaucoup travaillé sur le réseau jeune public, qui ne nous connaît pas encore très bien. Pour la saison 2026, plusieurs lieux prescripteurs se sont positionnés sur la pièce, ce qui est une avancée très encourageante. Tout cela demande du temps : nous avons donc mis en place des journaux de bord (voir en fin d’article) afin que les structures découvrent progressivement le processus de création de TADAM!.
La conjoncture reste toutefois difficile : le nombre de représentations pour le jeune public a chuté ces dernières années, et les séries de six représentations ne sont plus si fréquentes.
La première aura lieu à la MECA à Bordeaux, car La Manufacture est actuellement en travaux. Nous sommes soutenus par les trois labels danse de la région Nouvelle-Aquitaine : Mille Plateaux – CCN La Rochelle, Malandain Biarritz et le CDN La Manufacture. La Rochelle se positionne en pilotage pour intervenir dans le cadre du dispositif Danse en Territoire, ce qui permettra à TADAM! de bénéficier d’une série de dates. Une diffusion sur le territoire basque est également prévue.
Je croise les doigts, mais j’ai le sentiment que les professionnel·les souhaitent voir le résultat avant de se positionner. Je perçois leur curiosité et leur intérêt, notamment pour les propositions musicales qui font rêver. D’ores et déjà, dans le processus de création, je sens une évidence que tout peut cohabiter harmonieusement sur scène.
Propos recueillis par Cédric Chaory
@ Séverine Charrier
