GAGA de GO !
Un plateau baigné dans une douce lumière bleutée, encadré de gradins de toutes parts. En son centre, deux hommes vêtus entièrement de noir focalisent l’attention. L’un exécute une série de mouvements gracieux de karaté, tandis que l’autre, à proximité, manie le jyo – arme japonaise d’entraînement pour Bōjutsu – avec des gestes précis et secs. Aucune connexion apparente entre les deux hommes mais un esprit d’union émerge de leurs deux soli chorégraphiques tout comme une beauté picturale digne d’un tableau de Robert Motherwell : deux touches noires mouvantes sur une toile blanche.
Sur ce tatami-plateau où flotte dans l’air une musique zen japonisante, une fois établi le premier échange de regard, les compères s’embarquent dans un jeu-défi où chacun utilise son art martial pour imposer sa victoire. De ces combats accouchent des capsules chorégraphiques virtuoses où les deux danseurs et le jyo forment un seul et même corps déjouant les déséquilibres, s’articulant et s’étirant à qui mieux-mieux.
Puis un deuxième jyo apparaît. Les manipulations véloces et hypnotiques des bâtons, dans une pénombre enveloppante, les font se transformer en instruments de percussion. Mieux encore, leur énergie percussive a ce pouvoir magique d’activer au sol des rectangles de lumière, évoquant cette marche de Mickaël Jackson dans le clip de Billie Jean. C’est à ce moment précis que GO ! bascule dans un univers graphique exceptionnel grâce à un élégant travail de mapping au sol. En effet les danseurs y reconfigurent le plateau au gré des frappes de leur jyo, créant des dessins complexes et labyrinthiques. Allié désormais, le duo affronte des ennemis imaginaires dans ce nouveau monde rappelant tour à tour cases d’un manga, art de la calligraphie ou décor de jeux vidéo. Avec humour, les interprètes déjouent tous les pièges et autres chausse-trappes de ce tatami (dessin-) animé. On assiste alors à une irrésistible parodie de combats de jeux-vidéos (avec force déformation des visages et ralenti extrême…) puis un Tétris géant envahit le plateau apportant une touche colorée très pop’art à la pièce. Avant que tout ne s’apaise. Les lumières s’estompent, nos deux héros déposent les armes. Zen , soyons zen. Plus de chocs à la chaîne.
GO ! pour le top d’un jeu, pour l’évocation du chemin, de la route, concept philosophique à suivre dans certains arts martiaux où la pratique martiale devient une forme de développement personnel. Go aussi pour ce jeu de plateau et de stratégie d’origine chinoise où 2 adversaires s’affrontent avec des pions noirs et blancs. Enfin go pour ce préfixe marquant le respect de son interlocuteur en langue nippone. GO ! multiple donc, à l’image des médiums qu’il réunit au plateau: danse contemporaine, arts martiaux et art numérique.
En s’attaquant à physicalité des arts martiaux, la beauté du geste, l’énergie et la précision du mouvement, en une ludique demi-heure, la chorégraphe Jennifer Gohier démontre qu’elle n’a pas son pareil pour embarquer l’auditoire dans son univers. Déjà dans sa précédente pièce PLAY, le public devenait maître de la création. Performance dans laquelle il créait la chorégraphie, la musique et les costumes pour les deux danseurs à l’aide de cartes et de dés, PLAY prenait la forme d’un jeu avec des mouvements qui s’ajoutent au fur et à mesure du spectacle. Si GO ! n’est pas participatif, il n’empêche qu’il vous immerge dans son univers, fracassant aisément le quatrième mur, via notamment un déploiement de mapping quasi-immersif qui vous électrise la rétine. Le spectateur, si proche des danseurs, se laisse happer par leur joute, leur complicité. Qu’il soit jeune ou plus âgé, il veut, lui aussi, être de toutes leur aventures.
Le Ministère de la Culture du Luxembourg a vu juste en décernant à GO ! le Kanner- a Jugendtheaterpräis – Prix de la meilleure production jeune public cette année 2023. La pièce sera programmée dans le cadre du Festival d’Avignon OFF au Train Bleu et tournera en amont dans l’Est de la France.
Cédric Chaory
©Bohumil Kostorhyz
Du 15 au 18 avril 24: Vivier au Court (08), les 19 & 20 avril 24: Centre Culturel Les Fuseaux, Saint Dizier (52), les 22 & 23 mai 24 : Agora, Metz (57) -dans le cadre de Passages Transfestival. Du 12 au 14 juin 24 : Scène de l’hôtel de Ville, Sarreguemines (57). Avignon OFF du 3 au 21 juillet au Train Bleu.