Improbables équilibres
Une bande son, trois interprètes, des agrès mobiles, et la gravité sont les quatre éléments de Traversées, la dernière pièce de Kitsou Dubois.Tout commence par une voix qui nous raconte une histoire, des sons d’ambiance s’y juxtaposent. Petit à petit, nous sommes dans un univers, un espace-temps qui semble très éloigné de notre planète. Et pourtant la voix évoque des sensations qui font, elles, parties de nous.
Un à un les interprètes apparaissent et font vivre les sensations, sans les illustrer, auxquelles fait appel l’auteur du texte (Sonia Chiambretto) qui est lu. Des corps couleurs (chaque interprète porte un costume très coloré) se succèdent pour proposer un travail d’équilibre, de postures. Un corps et sa gravité. D’une simple verticalité sur une sorte de tapis en mousse, à l’équilibre incertain sur une barre mobile, les danseurs créent une relation à l’environnement, à l’objet dont ils se servent pour se donner de la vitesse, de la hauteur, de la suspension. C’est ici que réside la magie de ce spectacle. Le spectateur devient attentif à toutes ces recherches d’équilibres, de transferts de poids, à tout ce qui permet de faire naître une danse.
La concentration de chaque interprète nous incite à prendre la mesure de ce qui se passe, de ce que l’on entend et de ce que l’on voit. La sensation nous est transmise par l’écoute de chacun envers son corps et ce qu’il manipule. Plusieurs scènes font appel à l’étonnement et à la surprise du spectateur. Comment font-ils pour tenir ces équilibres, pour garder ce centre de gravité et ne pas chuter à n’importe quel moment, et dans n’importe quelles positions ? Tout ça c’est le travail, bien sûr. Mais tout ce que l’on perçoit est souvent d’une douceur et d’une sérénité incroyable. Et ce tout en restant puissant, dans la lenteur comme dans la vitesse.
Lorsqu’un des interprètes apparaît avec un énorme cerceau, il n’est plus seul, ils sont deux. La relation peut alors exister. L’équilibre de l’un tient à l’équilibre de l’autre. Le poids de l’un sur la forme de l’autre, la vitesse de l’un dans le geste de l’autre, tout est question d’influence. Du choix que l’on fait de donner ou non son poids, de la force ou de la légèreté avec laquelle on fait tourner l’objet, tout prend sens.
Aussi lorsque les trois danseurs sont sur scène chacun avec leurs agrès mobiles, on retient son souffle. Comment vont-ils faire dans un espace relativement petit pour jouer les uns avec les autres, les uns autour des autres, les uns à côté des autres, sans qu’il y ait de contact involontaire ? Encore une fois, c’est avec les yeux des enfants que nous sommes, que nous apprécions la magie de ce ballet (balai). Les apparitions de chacun sont de l’ordre du rêve. Nous sommes sans cesse suspendus à leurs gestes. A ce qui leur permet de trouver la ligne de flottaison. D’être au-dessus du sol, sur une barre ou dans l’air, de retrouver la terre pour s’en éloigner un peu plus.
Traversées est l’occasion de voir des corps qui se jouent de l’équilibre et donc de l’instabilité. Il est intéressant de percevoir à quel moment tout peut basculer et faire perdre pieds. On perçoit alors la fragilité des choses tout comme leur force. Une des dernières scènes en fait l’illustration. Après cet incroyable balai à trois, chacun dépose son agrès de façon à ce qu’une pyramide soit formée, tel un mikado. Chaque agrès seul ne pourrait constituer une telle figure, c’est bien l’addition de ceux-ci qui permet de faire naître autre chose.
Cette pièce me parait être un laboratoire curieux et captivant de ce qu’est la gravité. Un des regrets c’est qu’il n’y ait pas plus d’échappées de ce processus. Une sorte de dérapage aurait été le bienvenu. Comme lorsque l’on assiste à un numéro de cirque et que tout se passe bien. Si tout se passe bien c’est que le travail qui a été fourni paye. Mais il est bon de sentir parfois un lâcher prise, pour reconsidérer autrement tout ce qui est abordé. La dernière remarque n’enlève rien au travail de Kitsou Dubois qui nous permet avec Traversées de voyager, et c’est déjà beaucoup.
Fanny Brancourt – Espace 1789 Saint-Ouen (décembre 2009)
Copyright : Quentin Roue