Raoul est un être à part. Il est seul et multiple. Il débarque sur la scène comme on débarque d’un bateau. La scène ressemble d’ailleurs à un grand voilier qui dévoile une fois l’arrivée de ce Robinson, un espace immense dans lequel se tient quelque peu excentrée une maison de fer. C’est le lieu de vie de Raoul. C’est le lieu où l’imaginaire de Raoul déborde, où il se prend à rêver, à provoquer ses visions, ses illuminations. Il entre en communication avec les objets qui peuplent son espace, il est à la fois lui et un autre. L’illusion est parfaite, on ne sait parfois plus si Raoul est vraiment seul. La maison de fer chante, crie, elle provoque Raoul lorsqu’il est calme, le confronte à l’environnement extérieur. Derrière cet espace quelque peu feutré, un monde reste à explorer. D’étranges animaux (méduse volante, poisson scintillant ou encore un scarabée de métal) viennent frapper à la porte de Raoul et l’incitent à sortir de chez lui, de lui-même. A s’affirmer comme cet être multiple, traversé par des états corporels et émotionnels forts.
Les spectacles de James Thierrée sont toujours l’occasion de voyages magiques et malicieux. L’imaginaire de cet artiste et de ceux qui l’accompagnent (notamment sa mère Victoria Chaplin-Thierrée, auteur des costumes et du bestiaire) provoque la curiosité et l’émerveillement. Et ce, tant dans la mise en scène de l’espace par les décors, les marionnettes, les objets créés, utilisés, détournés, que dans l’aspect chorégraphique, dramatique du personnage de Raoul. Raoul se prend pour un cheval, un oiseau, c’est un acrobate que rien n’empêche. Il s’empare des objets à bras ouverts. Il dialogue avec eux, les malmène, en prend soin pour expérimenter ce monde où il est souvent seul, mais où parfois des êtres non humains et des espaces s’animent.
James Thierrée excelle dans la création d’univers riches d’ingéniosités, de trouvailles, un peu à la manière du tandem cinématographique Carot et Jeunet dans Délicatessen. Le corps de l’artiste devient une matière qu’il est possible de manier dans tous les sens. C’est ainsi que l’on fait l’expérience du monde, que l’on communique avec l’autre (que ce soit un être étrange et étranger ou une autre partie de soi elle aussi étrangère). A partir de ces multiples dialogues, un univers se crée et évolue sous nos yeux. Nous sommes à la fois les complices des visions de Raoul mais aussi les spectateurs de son dialogue intérieur. Dialogue intérieur et rencontres lui permettront petit à petit, de s’affranchir et d’atteindre finalement la sérénité. Raoul fini à la fin du spectacle, alors que sa maison de fer et tout son univers matériel ont mis les voiles, par rejoindre les airs. La légèreté fait place à la lourdeur des matériaux qui constituaient son espace.
C’est un réel plaisir que d’assister au cheminement de Raoul. James Thierrée est à la fois danseur, musicien, acrobate, clown, comédien, il fait vivre son personnage et tout ce qui l’anime avec une grande élégance et une belle légèreté. Car même si Raoul se heurte au monde et à lui-même, la poésie avec laquelle il se meut, lui donne des ailes… jusqu’à disparaître dans les airs.
Fanny Brancourt
© Richard Haughton