TripleBill#1 – Attou / Gallois / Tokyo Gegegay

Après avoir triomphé au Japon et à Paris, TripleBill#1 fut joué cette semaine à La Coursive dans le cadre du festival Shake La Rochelle. Entre danses d’auteur et show délirant, la pièce questionne le hip hop où dialoguent cultures japonaises et européennes. Pour le meilleur et pour le pire.

Dans la jeune génération hip hop qui compte, la chorégraphe Jann Gallois est incontestablement sur le podium. Depuis 2012, année de la création de sa compagnie Burn Out et après avoir dansé – excusez du peu – pour Angelin Preljocaj, Sylvain Groud, Sébastien Lefrançois ou encore Thony Mascott, Jann enchaîne les succès. Comme un crescendo, ses créations font parler d’elle(s) toujours un peu plus. Deux soli, un duo, un trio, un quintette, tous salués par la critique et applaudis par le public et voilà Jann embarquée dans la singulière aventure nippone TripleBill#1.

Elle y signe Reverse, pièce virtuose de vingt minutes et défi technique consistant à revisiter deux figures phares de la danse urbaine : le chair freeze et le head spin. Soit une pièce où jamais les danseurs ne quittent la tête du sol. Au départ, tout commence comme le cérémonial d’un combat de judo. À cette différence près que les combattants revêtent un costume délesté de la veste et prenant soin de se vêtir d’un bonnet noir. Ils entrent en scène s’agenouillant pour se saluer de ce signe si caractéristique de la tête qui s’abaisse. Qui s’abaisse si fort qu’elle se fracasse au sol. Dès lors, les 5 corps de Reverse évoluent dans un espace restreint délimité d’un seul trait de lumière. Ils y dessinent un canevas de déplacements vifs et accidentés, comme des pions cherchant vainement une issue au traquenard dans lequel ils se sont eux-mêmes embarqués.

Réflexion sensorielle et corporelle sur le sens d’un monde sens dessus dessous, les protagonistes de Reverse font écho à cette phrase qui orne le site internet de la compagnie, à ces « âmes enfermées dans des boîtes, des boîtes qui gesticulent, interagissent et se démènent comme elles peuvent pour donner un sens à leur petit bout de vie. ». Musicienne aguerrie passée par la danse contemporaine, Jann Gallois confirme ici tout le bien que l’on pense d’elle, poursuivant sa quête d’un renouveau de la danse hip hop qu’elle appréhende comme un territoire de recherche et d’expérimentation salvateur.

À sa suite Yôso (Éléments) par le directeur du CCN La Rochelle Kader Attou. Emmené par l’impeccable composition de Régis Baillet qui mêle musique électronique et sons traditionnels japonais, le chorégraphe puise son inspiration dans le Godai, ensemble traditionnel japonais des cinq grands éléments (la terre, l’eau, le feu, le vent, le vide) et héritage lointain du bouddhisme.

Les danseurs japonais, qui ont vaillamment assuré cul par dessus tête le Reverse de Jann Gallois, se lancent dans une partition chorégraphique de haut vol. Dans un clair obscur quelque peu anxiogène, le quintette de Kader, d’une rare générosité, enchaîne les prouesses techniques jusqu’à plus soif. Ici point de recherche chorégraphique à la Gallois : la technique pure prime, telle une déflagration qui peut laisser parfois pantois. Les interprètes ont toutes latitudes pour y exprimer leur singularité mais c’est bien dans les ensembles qu’ils révèlent leur supplément d’âme qui sauve in extremis la pièce à la dramaturgie floue. À noter le final de Yôso qui vous emporte (et apaise) dans la douce musique du vent, délicate conclusion d’une pièce aussi technique que virile.

Puis vînt l’instant WHAT THE FUCK ? emmené par les Tokyo Gegegay. D’eux, nous ne savions rien si ce n’est qu’au pays du Soleil-Levant ce sont des stars ultra-célébréEs depuis leur découverte dans un show TV. C’est donc avec curiosité que nous attendions leur Tokyo Gegegay’s High school, saynète se déroulant dans une classe de lycée, qui clôturait la soirée.

Mikey, meneur de revue et exubérant travesti de la troupe, en définit l’univers comme du « bizarre mental world » que l’on pourrait décrire comme un show très théâtralisé mêlant beaucoup de chant, un peu de danse et des tonnes de mimiques outrancières. Le tout dans la lumière anémiée d’une discothèque en liquidation judiciaire.

Nous savons les contraintes sociales imposées par la société nippone, le courage de sa jeunesse qui tente d’en briser les carcans via moult excentricités. Vu de la Vieille Europe cela fascine autant que déroute mais ce soir, sur la scène de La Coursive, ça fait peine à voir. Incontestablement les artistes ont une technique irréprochable. La chorégraphie electro qu’elles imposent à leur bras et mains est d’une précision implacable. Mais après ? À trop hésiter entre le corrosif du cabaret queer, les grosses ficelles de l’entertainment mainstream, les codes de la culture manga et ceux des clips hip hop de TraceTV, High school agace plus qu’il ne divertit. Et que dire de cette baguette de pain soudainement brandie tel un symbole phallique de belle dimension pour frapper les fessiers des danseuses ? C’est sûr le Japon a un Incroyable talent, dommage qu’il lorgne du côté de la vulgarité du Plus Grand Cabaret du Monde.

Cédric Chaory

©Kota Sugawara

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