Donne-moi quelque chose qui ne meurt pas – Christophe Béranger et Jonathan Pranlas-Descours

L(’)âmes qui cachent la forêt

Une forêt de couteaux suspendus à quelques centimètres du plateau. Cinq individus qui tentent par un souffle, un geste, une rythmique commune de se réunir malgré cette fascinante menace. Fascinante parce qu’esthétique. Le scintillement des lames de cet énorme mobile trouble. A la fois effrayants et envoutants, ces couteaux pointés vers les danseurs allongés sur le sol, invitent à une précieuse et précise attention. Plafond de fer, ils forment cette chape de plomb qui ne laisserait aucune échappatoire. Puis, s’éloignant lentement du sol, ils remettent alors en question cette tentative d’écrasement des êtres vibrant, qui tentent tout simplement de rester debout.

Le désir de verticalité, la joie d’être ensemble et de partager un espace commun prennent le dessus. Les chemins et trajectoires se redéfinissent petit à petit comme si cette énergie vitale pouvait abattre tout obstacle et faire tomber n’importe quelle barrière. Malgré la menace tout reste possible. Pour leur dernier spectacle, les chorégraphes et danseurs Christophe Béranger et Jonathan Pranlas-Descours se sont inspirés de la collaboration entre l’auteur Christian Bobin et le photographe Edouard Boubat ; celle-ci avait donné lieu à un très beau livre Donne-moi quelque chose qui ne meurt pas. La nouvelle pièce de la compagnie Sine qua non art, au titre éponyme, met en abîme les forces de vie constitutives de l’être humain et sa capacité à les mettre en oeuvre pour lui et les autres.

Les deux chorégraphes lient de belle manière, les différents solos et quintets, illustrant la singularité et l’empathie de ces cinq personnages qui tentent de s’extraire de pesanteurs sociales et/ou affectives.

Les solos sont l’occasion pour les chorégraphes d’exalter les contraintes qui emprisonnent et dont on s’extirpe à force de persévérance. Les quintets, traduisent eux plutôt la force du collectif, sa capacité à déplacer les frontières, à faire front.

Autour de danses populaires, de comptines, de gestuelles empruntent à l’armée ou encore au rituel du Haka des Samoas ou des Néo-zélandais, Christophe Béranger et Jonathan Pranlas-Descours dressent une palette de contraintes sociales et culturelles qui peuvent enfermer l’homme ou au contraire lui donner la force d’aller au-delà des figures imposées.

La démarche des chorégraphes qui s’exprime au début de la pièce avec pertinence, perd à certains moments de sa force de part une mise en scène maladroite. Notamment lorsque les cinq interprètes sautent sans discontinuer, un microphone rétro(?) à la main affirmant ce qu’ils sont : « un canard en plastique, wonder woman, un radis noir, Jennifer »…. Est alors mis en avant ce que chacun serait dans une autre vie comparée à ce qu’il est dans cette vie. Mais l’empathie ne fonctionne pas, comme lorsqu’ils amorcent des bribes de comptines, on y croit difficilement.

Donne-moi quelque chose qui ne meurt pas, inscrit vraiment son propos avec la scène du début où les interprètes flirtent avec les lames des couteaux suspendus au-dessus de leur tête dans une sorte de trans hypnotique, avec les solos où chacun tente de s’affranchir de sa condition, de son environnement, du regard de l’autre et avec les danses collectives qui créent un souffle euphorisant.

La création musicale de Yohan Landry et Damien Skoracki, présents au plateau, qui composaient déjà la musique d’Exuvie, oscille entre légèreté et gravité, ne se refusant pas à la pigmentée de joie.

Que ce soit à la batterie, à la guitare électrique ou aux machines, les deux musiciens nous font voyager avec la danse et en dehors de la danse. Ils créent de nouveaux espaces permettant aux danseurs de se charger, de jubiler ou d’exulter, nous offrant ainsi une très belle partition.

Saluons aussi, la partition des trois autres interprètes, en plus des chorégraphes, Jorge Moré Calderon, Virginie Garcia et Francesca Ziviani qui ne se ménagent pas.

Avec une mention particulière pour Francesca Ziviani, qui quelque soit les chorégraphes avec qui elle travaille, elle fut notamment l’interprète de Jean-Claude Galotta, Frédéric Lescure, Olivier Dubois, Héla Fattoumi et Eric Lamoureux ou encore dernièrement de Yoann Bourgeois, irradie de sa présence.

Dans Donne-moi quelque chose qui ne meurt pas, elle déplace des montagnes avec une puissante légèreté, une grâce et une conviction incroyables. Percutante, précise, à l’image des lames scintillantes des couteaux, élégante, sensible complètement incarnée, elle est la lumière de la pièce.

Fanny Brancourt, La Briqueterie – CDCN Val-de-Marne (Septembre 2016)

©Christian Rausch