Musique au choeur
CONTAGION – Sébastien Laurent
Interprète depuis plus de vingt ans pour différents chorégraphes, Jean-Claude Gallotta, Christiane Blaise, Nathalie Pernette… mais aussi Tomeo Vergès avec qui il travaille encore, Sébastien Laurent décide en 2013, de fonder sa compagnie MOI PEAU. Contagion sa deuxième création dans laquelle il est aussi danseur, était présentée dans le cadre de la soirée ADAMI lors du festival June Events.
Entouré de trois autres danseurs Stéfany Ganachaud, Sarath Amarasingam et Nele Suisalu, il explore avec cette pièce ce qui nous rassemble. Crée un choeur d’individus reliés par un souffle commun ondulatoire. Assis sur des chaises au quatre coins de l’espace, les danseurs ne tardent pas à se retrouver dans un espace plus restreint où si les corps peuvent encore s’éviter, ils ne peuvent guère s’ignorer.
C’est dans ce rapport contraint à l’espace que se développe une gestuelle où la contagion semble la seule échappatoire. Des gestes relevant du quotidien, de l’intime, changent de relief au contact des autres. La courbe d’un bras, d’une colonne se propage dans l’espace touche d’autres corps jusqu’à provoquer la rencontre. Ce qui était au départ quatre solitudes se transforme par un mouvement commun en quatuor. Les perceptions changent alors, les points de vue s’échangent, se déplacent tout autant que les corps.
Il y a dans la danse de Sébastien Laurent une fluide légèreté qui permet la porosité des corps, des contradictions qui traversent les interprètes pour laisser place à leurs émotions. Gracieuse qualité.
Ainsi l’ondulation de chacun, figure récurrente de Contagion, devient un seul et même mouvement. Dommage qu’elle ne soit pas maitrisée par tous de la même manière afin que s’en dégage son intrinsèque puissance. Certes il est toujours intéressant de percevoir les singularités de chacun, mais cela peut parfois desservir le propos lorsque celles-ci ne permettent pas au groupe d’accéder à d’autres qualités de corps. Aussi la fébrilité de certains danseurs au sein du quatuor fragilise la partition et lui ôte sa résonance. Sébastien Laurent malgré ses intentions ne parvient pas à faire de Contagion une pièce qui se propage en dehors du plateau. Son désir d’empathie et de « contagion émotionnelle » s’inscrit dans un cadre précis, lié au quatuor et à son intimité. Intimité dont les danseurs s’émancipent difficilement laissant le spectateur de côté, quelque peu passif. Le moment passé est agréable, mais les choses nous échappent plus qu’elles ne nous contaminent. On se sent extérieur à ce qui se joue et se vit. On aimerait tellement être envahit par ses ondulations vibrantes.
Concrete – Maud Le Pladec et l’Ensemble Ictus
Musique et danse, un espace en partage
Après Ominous Funk et Democracy, présentés aux précédentes éditions de June Events, Maud Le Pladec finalise avec Concrete, sa trilogie consacrée au collectif new-yorkais Bang on a Can. La chorégraphe à partir d’oeuvres récentes des compositeurs fondateurs de ce collectif musical, David Lang, Julia Wolfe et Michael Gordon, propose des créations originales qui lui confèrent une place tout à fait particulière dans le paysage chorégraphique de la danse contemporaine.
Maud Le Pladec, s’applique en effet depuis ses premières créations Professor et Poetry (diptyque autour de la musique de Fausto Romitelli), à mettre en lumière le sensible reliant danse et musique. Par le mélange de différentes influences esthétiques, philosophiques, artistiques, et de sa propre subjectivité, elle invente un espace temps tout à fait personnel. L’envie de créer des ponts entre danse contemporaine française et musique postminimaliste américaine a donné naissance à cette trilogie qui débuta en 2012. Depuis Maud Le Pladec n’a de cesse de confronter ces univers, de mettre en exergue les liens qui se tissent.
Pour Concrete, elle a fait appel à cinq danseurs et neuf musiciens de l’Ensemble Ictus. La partition de Michael Gordon (Trance) est jouée en live comme dans les autres pièces de la trilogie. Pour la chorégraphe la présentation de telles pièces ne peut se faire qu’avec la présence des musiciens sur le plateau. « C’est ainsi que la musique trouve son plein essor au plateau et que les subtilités d’interprétation, d’orchestration, surgissent et apparaissent aux oreilles et aux yeux des spectateurs. » précise-t-elle. La démonstration de ces propos se vérifie là encore dans sa dernière pièce.
Dans Concrete, les musiciens sont placés au centre d’un plateau argenté, sur une ligne parfaite. Leurs déplacements n’iront pas plus en avant, pas plus en arrière. Ils créent un espace qui peut être traversé mais forment une sorte de socle sur lequel les danseurs peuvent s’appuyer. Leur présence tant par leur nombre, la puissance de leur partition musicale, et leurs corps, place le spectateur dans une extrême attention quant à ce qui se joue et à la manière dont c’est joué.
Les danseurs, eux aussi en ligne au début de la pièce, placés à l’avant scène et munis de micros sur pieds, sont à l’origine d’un autre espace celui de la verticalité. Eléments mouvants d’un paysage exceptionnel. Tels des apaches (c’est ce que peut évoquer leurs maquillages), en baskets fluos, ils se déplacent dans une jungle plus ou moins hostile à la végétation luxuriante et variée, qu’ils apprivoisent avec énergie et curiosité. Cette traversée s’impose riche et subtile. Les interactions entre les musiciens et danseurs autant que celles dues aux lumières, à la scénographie, et aux costumes sont nombreuses et donnent ainsi à voir un spectacle total.
Les matières musicales explorées dans la partition de Michael Gordon, font sans cesse rebondir les danseurs vers des états de corps qui sont tout autant nouvelles. Danseurs et musiciens travaillent ensemble à éloigner le banal, à détourner le connu. Chacun d’entre eux semblent partir de cette nécessaire exploration des champs communs. La voix des danseurs est dès lors partie prenante de ce chemin aventureux parfois sinueux. Le corps est poussé dans des territoires où le débordement parait nécessaire pour aller jusqu’au bout d‘une chose et peut-être en trouver l’essence. Même chose pour les musiciens qui s’attèlent à développer une matière sonore pour en extraire la substantifique moelle. De ce cheminement commun, les ponts apparaissent, des rencontres se font et mettent en évidence les sensations vécues.
La puissance de cette musique live associée à cette danse provoque d’indicibles émotions. Une hyper attention émane de cette énergie dévastatrice (dans le bon sens du terme). Une énergie qui met en mouvement ces quatorze artistes sur le plateau. Pendant une heure les musiciens acculés à cette ligne d’horizon, vont tirer le fil d’une intense coopération. Les danseurs eux seront les électrons libres de cette coopération. Passeurs d’énergie, de déflagrations, d’explosions, de lumières.
Maud Le Pladec réussit par ses choix artistiques à créer entre le spectateur et le plateau une relation singulière. La puissance évocatrice de la musique et d’autant plus lorsqu’elle est jouée en directe, n’atténue à aucun moment ce que les corps en mouvement proposent et développent. La chorégraphe pointe du doigt les points de convergence de ces deux médiums et met un peu plus en lumière les relations qui se jouent entre ces derniers.
On sort galvanisé de Concrete. La mise en éveil de nos sens est concrète ! Le fil tendu tout au long de la pièce entre musiciens et danseurs, entre sons et lumières, entre espaces et matières, permet aux spectateurs d’être dans une extrême attention aux sensations quelles quelles soient, et de recevoir chaque information comme une expérience singulière et captivante.
Fanny Brancourt (Juin 2016)
©Konstantin Lipatov