Pour sa dixième édition le festival June Events initié par Carolyn Carlson, a ouvert ses portes. La première soirée le 3 juin dernier fut un beau moment de danse aux multiples couleurs.
Next couple – Chloé Hernandez et Orin Camus
Douce apesanteur
Fondateurs de la compagnie YMA, basée à Mézin dans le Lot et Garonne, Chloé Hernandez et Orin Camus nous proposent avec Next Couple un voyage au cœur du couple et de ses émotions. Les deux chorégraphes et interprètes forment un duo d’une légèreté et d’une douceur étonnante.
Dans la cour des Ateliers de Paris Carolyn Carlson, sur un sol en pavés recouvert d’un fin tapis, ils jouent avec l’apesanteur. Les corps sont déliés et souples. Les visages ne sont ni graves, ni tristes mais ouverts au monde, à leur monde. Les danseurs se cherchent, s’étreignent, se meuvent aussi bien au sol que dans les airs pour mieux se retrouver et tenter la folle aventure d’un voyage à deux. On sent la communion qui unit ces deux êtres. Le moindre contact est complètement incarné. Une belle fluidité émane de leurs portés et de leurs élans. Depuis 2012 avec leur compagnie YMA, ils créent, en partie, des formes courtes, duos, soli et inventent une danse pleine de poésie et de sensibilité. Next couple est un délicieux moment, sans prétention si ce n’est celle de nous faire voyager (ce qu’ils parviennent à faire agréablement), où la danse à deux, leur danse à (d)eux, rayonne. Belle idée que de commencer cette soirée par ce chaleureux duo.
55 – Radouan Mriziga
Architecturalement votre
Changement radical d’univers avec la performance 55. Radouan Mriziga, le danseur et chorégraphe auteur de la pièce, s’est formé au Maroc son pays d’origine, en Tunisie mais aussi en France et en Belgique, où il réside désormais, à Bruxelles au sein de l’école d’Anne Teresa De Keersmaeker P.A.R.T.S. S’il fallait l’illustration que la danse est bien un art de l’espace et du temps (entre autres choses) et de leur construction, Radouan Mriziga nous en donne ici la preuve.
Une fois le public assis de part et d’autre du plateau, le chorégraphe se lance dans une sorte de rituel. Muni de rouleaux de scotch, d’une craie, il va employer son corps pendant 55 minutes à dessiner l’espace.
Au préalable sans outils marqueurs, il s’attache à créer un espace. Il met en place des lignes, des courbes qui définissent une qualité de mouvement mais surtout une impression dans le sol et l’air. Ses mouvements et déplacements sont répétitifs et précis. Chacun d’entre eux donne la porte à ouvrir pour permettre la naissance du suivant et ainsi de suite. On visualise très vite l’espace de jeu dans lequel le danseur prend place. Qu’il soit couché au sol ou debout, tout est question de déplacement d’air, de transformation du vide en plein.
Quitter un espace c’est en construire un autre. Sans fin, le rituel se développe avec une batterie de gestes qui vont désormais permettre de figurer d’autres lieux, d’autres formes à l’intérieur même de la première architecture créée. A l’image des artisans qu’il a observés, répétant des gestes et mouvements, utilisant leur corps et la manipulation d’outils à des fins créatrices, Radouan Mriziga se fait architecte. La longueur de son corps, la rotation d’un avant bras, l’ouverture de ses pieds… sont autant de choses déterminant un placement, un déplacement, une direction, une énergie. En travaillant avec le sol et l’air, il sculpte un espace, lui donne chair, lui donne corps.
Pendant ces 55 minutes qui paraissent parfois longues _de par le caractère brut et efficace des mouvements_ et par là-même nous interrogent sur nos attentes et notre capacité à recevoir ce qui nous est offert, Radouan Mriziga rend compte du temps et de sa nécessité dans une construction quel qu’elle soit.
Le rituel s’achève par la matérialisation d’un espace. Au sol, les différents morceaux de scotch blanc formant lignes et courbes, mettent à jour une autre forme, un autre geste. Cela ressemble à un mandala, à des arabesques orientales, peu importe l’évocation a lieu. A nous d’en faire ce que nous souhaitons. L’accumulation des déplacements, des mouvements de son corps/outil ont permis au chorégraphe de composer une nouvelle forme architecturale.
En arpentant l’espace en conscience, en lui donnant vie avec des mouvements précis, répétitifs, Radouan Mriziga crée. Beau geste à éloigner de toute attente et sensation ou au contraire à questionner.
inaudible – ZOO/Thomas Hauert
Danse et musique : rencontre explosive et jouissive
Dans la pénombre en avant scène, on distingue un amas de corps. Les uns dans les autres, ils se meuvent doucement cherchant tels des animaux à se fondre dans l’autre. Toujours à la recherche d’un espace où se glisser, d’un contact à maintenir. Lorsqu’on les perçoit, les visages sont expressifs. Vêtus de matières et couleurs improbables, les six danseurs finissent par se dégager les uns des autres et sortent de scène. A leur retour, tout peut commencer. Ils prennent place au fond du plateau en ligne et avance petit à petit comme dans un jeu d’enfants. Ils sont drôles et beaux dans leurs éclatants costumes, mettant en avant leur singulière personnalité.
Thomas Hauert, fervent admirateur et interrogateur du rapport danse/musique, questionne une fois encore et pour notre plus grand plaisir, avec inaudible, cette subtile relation jamais inépuisée.
S’appuyant sur des partitions musicales existantes le Concerto en fa de George Gershwin et Ludus de Morte Regis du compositeur contemporain Mauro Lanza, il décline écritures chorégraphiques et improvisations structurées. Accompagné de six danseurs, tous exceptionnels Fabian Barba, Liz Kinoshita, Albert Quesada, Gabriel Schenker et Mat Voorter, Thomas Hauert nous livre ici un pur moment de danse et bien plus encore. Prenant le contre-point du mickeymousing (principe présent dans les films d’animation, où chaque événement est souligné par la musique dans une synchronisation parfaite), les danseurs suivent la musique sans en perdre une note. Leurs mouvements sont conduits par les partitions de Gershwin et Lanza. Le langage chorégraphique prend alors des formes complètement inattendues, où la précision et la technicité ne font jamais défaut. Où la jouissance et le jeu sont omniprésents. En solo, duo, trio ou en groupe les danseurs développent un langage personnel constitué de règles du jeu que l’on discerne ou qui nous échappent c’est selon. Quelle jubilation de voir par la perception, ou non, des règles et contraintes, l’espace de liberté que s’approprie les danseurs, les chemins qu’ils prennent, les voyagent qu’ils opèrent. Ils nous offrent ainsi des sensations incroyables, des émotions pas toujours fréquentes en danse contemporaine.
La jouissance avec laquelle ils s’engagent dans ce jeu, dans cette invitation à suivre la musique au plus près, entraine le spectateur dans une joie insoupçonnée. L’envie de rejoindre les danseurs décuple au fur et à mesure des scènes. L’exploration du cadre défini, la curiosité des interprètes permettent de rendre compte de ces multiples possibilités de rencontre entre danse et musique. Le corps passe du vide au plein, de la tension au relâché, du chaos à l’ordre, les couleurs et potentiels sont multiples et sans fin. La recherche est permanente. La perception de la musique engage le danseur dans des voies intuitives, renouvelant par la-même nos propres perceptions. D’autres lectures, d’autres visions s’offrent à nous. Toute sensation et réception des compositions musicales ouvrent un nombre incalculable de portes. Chaque danseur s’évertue à en choisir une puis une autre, laissant libre cour à sa danse, sans censure. Des choix s’expriment, des revirements de situations s’opèrent, des connexions se font, ou pas. La qualité de recherche vers laquelle Thomas Hauert entraine ses danseurs est magique.
inaudible, comme son titre ne l’indique pas rend la danse audible, intelligible, sonore, intelligente. On ne peut être que touché par cette générosité et cette force exploratrice qui mène le chorégraphe et ses danseurs. La puissance de ce groupe permet d’abolir le quatrième mur et d’inclure le public dans cette partition renversante. Exceptionnel.
Fanny Brancourt, Atelier de Paris CDCN Paris (Juin 2016)
©Gregory Batard