Nos limites – Matias Pilet, Alexandre Fournier, Radhouane El Meddeb

Grandir entre amitié et complicité

Après la présentation d’Acrobates, magnifique pièce jouée en octobre dernier, déjà au Monfort, nous retrouvons les deux jeunes acrobates Alexandre Fournier et Matias Pilet issus de l’Académie Fratellini pour une autre création, Nos limites.

La pièce est ici précédée du film d’Olivier Meyrou Parade. Portrait du trapéziste voltigeur des Arts Sauts, Fabrice Champion, après son accident. Largement évoqué dans la pièce Acrobates, il est ici suivi dans son quotidien, son retour vers la piste, les étoiles. Le film souligne aussi le lien fort qui l’unit aux autres, notamment à Matias Pilet et Alexandre Fournier, ainsi qu’à son art.

Film sans commentaire, sans interview, emplit de lumières, Parade nous permet d’appréhender avec pudeur et délicatesse, un homme touché dans son corps, dans son âme, et qui tente avec toutes ses forces de nourrir ses rêves. Nos limites, est née en partie de ce retour sur la piste de Fabrice Champion. Avec ces deux jeunes acolytes, il trouve de nouvelles sensations. Sa tétraplégie emporte l’acrobatie vers de nouveaux chemins. C’est donc à trois, qu’ils construisent le prochain spectacle marquant le retour sur scène de Fabrice Champion. Disparu en 2011, Fabrice Champion laisse Matias Pilet et Alexandre Fournier avec toutes ces matières entre « tétraco et tétradanse» comme il les nommait lui-même. Les jeunes interprètes, après le départ inattendu de leur pair, ont choisi de continuer. Un autre trio s’est alors formé. A la suite d’une répétition à laquelle il assistait, le chorégraphe Radhouane El Meddeb, les rejoint.

Nos limites, est emprunt de toutes ces matières créées avec Fabrice Champion (mises en relief par le film), mais aussi d’un travail lié à l’absence de ce dernier. Matias Pilet et Alexandre Fournier disent avec une féroce énergie, l’amitié, le dépassement de soi, le désespoir qui pointe parfois. Sur un carré blanc, éclairé de quelques néons, sans musique ou si peu, les deux interprètent exécutent acrobaties, portées et danses au sol. Les corps, les souffles et regards racontent cette amitié, cette complicité énorme qui les relient et donnent corps à l’absence de cet être cher. Matias Pilet et Alexandre Fournier évoquent, à travers ce spectacle comme dans le film, la disparition de Fabrice Champion et leur passage à l’âge adulte qui en découle. La danse est abrupte, les acrobaties sans artifice, les corps s’engagent dans des chemins improbables aves des membres puissants ou inertes. D’incroyables joutes corporelles déroulent le fil de l’amitié, de la complicité, d’un amour de la vie. La beauté qui se dégage de ce duo est indéniable. La présence et maîtrise des deux artistes, font vibrer les cordes de l’émotion comme celles de l’âme.

Fanny Brancourt, Espace 1789 Saint Ouen (Mars 2013)

©Christophe Raynaud de Lage