Concha ou une archéologie pop de l’écoute
À l’issue de la représentation de Concha, histoires d’écoute à la Maison des étudiants de La Rochelle s’est déroulé un échange entre le public et les artistes – Marcela Santander Corvalan, Hortense Belhôte et Gérald Kurdian, accompagnés d’Elodie Chazalon, enseignante-chercheur. Occasion de décrypter une conférence dansée pop, féministe, électro, universaliste. Sacrément politique.
Dans Concha, histoires d’écoute, on ressent avec puissance ce besoin de se reconnecter à soi, à la nature tout en allant vers l’autre. Je me questionnais justement sur ce besoin, votre besoin. D’où vous vient-il ?
Marcela Santander : Concha est une pièce qui questionne l’écoute. Pour Hortense, Gérald et moi-même, cette écoute est un postulat de départ dans nos pratiques respectives. Nous trois réunis, cette pièce essaye de faire un grand cheminement à travers pleins de sons, d’histoires, et de physicalités pour arriver, enfin, à cette conclusion : l’écoute, c’est une manière globale de sentir et qui passe par tous les sens. Nous partons de paroles intimes qui créent des images puis des sensations… l’intime vient tutoyer ensuite l’universel à travers des questions socio-politiques. Tout cela en ayant en tête qu’à la fin de la pièce l’écoute soit ressentie par le corps. On y accède par une sensorialité multiple. Gérald nous aide d’ailleurs dans ce cheminement. C’est lui qui englobe cette écoute et nous, nous sommes autour.
À travers Concha, histoires d’écoute, nous percevons clairement vos différences culturelles, vos diverses origines géographiques, mais dans ce grand tout qu’est la pièce règne une parfaite homogénéité…
Elodie Chazabon : Effectivement nous pouvons parler de grand tout organique que l’on éprouve malgré le télescopage de nos disciplines respectives, de toute cette matière dichotomique tels le passé/présent, le dedans/dehors, l’ancien/contemporain. Tout est effectivement relié par un aspect organique. Les orifices que nous voyons : ceux des oreilles, des yeux, des pores, des « conchas » – vagins donc – font dialoguer le dedans/dehors et tout le reste. On le voit notamment dans le prologue avec la diffusion de cette vague, qui incarne l’idée de fluidité. Hortense, tu as d’ailleurs parlé de gender fluid, non ? Malgré ce télescopage historique, toutes ces histoires individuelles, nous sommes dans un grand tout. C’est un rythme fluide, mais non dénué de secousses et saccades qui viennent vous remuer. Cette sensation est forcément amenée par la musique électro de Gérald qui l’impulse.
Marcela : Je pense que dans nos travaux respectifs il y a une constante dominante : l’histoire, les histoires. Celles de nos corps, de l’art, de la musique, de la danse. Nous ne souhaitions pas cloisonner, travailler chacun de notre côté. Nous avons un héritage culturel commun, à la fois historique, spirituel et conceptuel. Notre positionnement artistique pour cette conférence, est donc de créer avec tout ce que nous sommes en tant qu’individu, mais aussi dans notre génération.
Votre pièce m’a troublée : elle est à la fois généreuse, mais également pudique, intime…
Hortense : J’avais proposé qu’à la fin, nous finissions tous nus avec une conque dans les mains (rire dans le public).
Marcela : Cette générosité dont tu parles vient sans doute de nos pratiques respectives et comment nous voulons nous positionner dans le travail, mais aussi sûrement de la manière de faire de l’histoire de l’art d’Hortense. Elle a cette capacité d’expliquer des choses très complexes avec simplicité et humour. Elle captive par sa capacité à donner d’elle-même dans ses explications, mais tu en parleras mieux que moi, Hortense…
Hortense : En fait, la question ici était de partir de l’intime et d’aller vers l’universel. Nous avons un ami physicien qui a vu la conférence et nous a parlé du principe de la spirale. Principe qui pourrait expliquer le monde : tout est dans tout mais à des échelles différentes. On parle de cela dans Concha, histoires d’écoute. Dans un micro-souvenir intime, il y a tout comme dans un moment-phare de l’histoire de l’humanité, mais à des échelles différentes. Changer d’échelle en permanence, voilà ce que nous faisons dans la pièce. Ça relie au lieu de nous perdre et même pour nous, avec cette histoire de diversité culturelle, ça marche ! Nous avons réussi à trouver des points communs entre nous, pour relier nos trois histoires et pratiques. Il aurait été vain de venir vous parler d’écoute, si nous n’avions pas nous-même réussis à nous écouter puis faire corps, non ?
Votre conférence dansée m’a remonté le moral avec son universalité, son féministe heureux. Elle nous dit : « ça va aller » …
Gérald Kurdian : Sur la question féministe, des cultures minoritaires, ce qui est le plus marquant dans les pratiques de ces 10/20 dernières années, c’est cette écoute. Au lieu de se mettre dans un système productif, satisfaisant, car il est manifeste et visible, nous avons préféré chercher les outils qui ne seraient pas un frein à l’émancipation de l’autre, à son bien-être. Notre manière de travailler sur Concha est simple : nous sommes dans la contemplation d’objets, d’images, de chansons mis côte à côte. Ils communiquent ensemble, s’écoutent, dialoguent, mais pas dans un discours hyper-poussif. Notre dramaturgie n’est pas orthodoxe, mais plutôt issue des luttes anti-patriarcales. On s’est vraiment détendus sur l’agencement, la forme. On laisse tous nos matériaux co-exister ensemble. C’est un vrai positionnement par rapport à vous, public : on vous laisse le choix d’apprécier, de comprendre. D’écouter.
(SPOILER) Sinon on en parle de Cyndi Lauper ?
Hortense : En fait, dans ce spectacle, tout est vrai. J’habite vraiment face à ce lycée qui diffuse en guide de sonnerie les accords de True Colors. Évidemment, les lycéens ne connaissent absolument rien de ce tube de 1986.
Pour Concha, histoires d’écoute, nous nous sommes posés la question de comment, en partant d’un objet – la conque – nous pourrions construire une œuvre. Notre thématique de départ est donc l’écoute, l’objet la conque. Bien pratique en somme, car très rapidement nous avons appris que l’oreille possède une conque ; que ce mot signifie vulgairement le vagin au Chili… Bref on tenait notre motif. Puis un jour, je tombe sur le clip True Colors et découvre qu’une conque apparaît dans le clip, que la chanteuse plonge dedans (sic) pour y rejoindre un homme. Bref un clip des années 80 sans réel sens, mais quelque part on retrouve cette histoire d’échelle : nous pouvons à la fois parler de peinture italienne classique et de la pop sucrée de Cyndi dans une même pièce.
Je m’interroge sur les images qui apparaissent dans le générique de fin…
Hortense : J’aime beaucoup les PowerPoint et ce côté lo-fi, artisanal. De la technologie un peu cheap en somme. Sur ces photos, vous voyez des pionnières de la musique électronique devant leurs grosses machines. Je pense à Éliane Radigue, Pauline Oliveros, Wendy Carlos. Ses photos, datées des 70’s, sont hyper-belles. J’y ai ajouté un collage-photographique lesbien en mode kaléidoscope signé de l’artiste Tee Corinne. Ainsi je fais se rencontrer deux mondes et c’est pourquoi vous avez cette beauté froide qu’est Éliane Radigue en train de tourner des boutons sur des tétons de pin-up.
Marcela : Nous avons dû faire un grand tri dans les matériaux de la pièce qui aurait pu durer 4h30. Le générique de fin remercie toutes les femmes qui apparaissent dans la pièce. Les artistes, nos mères, nos partenaires, nos inspiratrices…
C’est un travail très féministe. Les hommes n’ont-ils pas travaillé également sur l’écoute ? Et si oui, vous ont-ils inspiré ?
Hortense : Pardon ? (Rires du public). On parle d’hommes dans la pièce : Greuze, Raphaël, Idir… Mais nous les connaissons déjà, tous ces hommes. Place aux femmes !
Propos recueillis par Cédric Chaory à l’issue de l’after show organisé par La Manufacture – CDCN de La Rochelle.