Et si nous écoutions cette danse avec nos yeux pour mieux l’entendre ?
Une femme aux cheveux longs, habillée de noir, dégouline d’un mur blanc. On entre dans un univers cotonneux, feutré. Et pourtant il y a cette femme la tête en bas, front et ventre sur le sol, qui glisse doucement. Et pourtant les murs et le sol sont blancs. Peut-être que ces impressions de chaleur émanent de ces images projetées sur les murs, à l’ambiance aquatique, évanescente ? Complètement au sol, quelque peu avachie, Veronica Vallecillo entame une danse qui s’écoute, qui s’entend. Elle se découvre, ôtant ses cheveux pour faire apparaître des lèvres rouge sang et un visage aussi blanc que l’intérieur de ce presque-cube dans lequel elle est installée. S’ensuit une danse expressionniste. Chaque mouvement d’yeux, de tête mais aussi des doigts nous content une histoire. Une histoire de femme libre entre oppression et résistance. Vulnérabilité et affirmation de soi. Il est temps de relever la tête. Il est temps de se relever tout simplement. Veronica Vallecillo se dit danseuse et chorégraphe « Trashic ». Dans un vrai-faux film muet qui vous parle !, cette expression s’adapte complètement à la danse flamenca qu’elle nous propose. Ses choix sont nourris d’un désir de nous donner à voir le flamenco à travers un autre regard, à l’entendre à travers autre chose que nos oreilles. Avec cette dernière création, elle permet au spectateur d’être un acteur à part entière.
Après les premières images de bulles, d’air, d’éléments pas toujours identifiables, après des images de signes morses, des extraits de films des années 1920 défilent.
Aucun son n’est émis par ces chaussures, par ses pas. Seul l’air déplacé par sa danse se fait entendre. Et c’est là toute la force de cette création. N’avoir aucun signe sonore d’une danse qui sans conteste est sonore. La vigueur de celle-ci prend alors tout son sens et toute son éloquence. Nos yeux deviennent nos oreilles. Notre corps se fait le réceptacle des sensations convoquées par l’artiste. La chorégraphe nous emmène sans relâche dans cette bataille pour la liberté. Sa gestuelle est à la fois déterminée et légère, précise et vive. Aucune fioriture ne vient perturber son cheminement.
Ce silence volontaire, qui est un son à part entière, nous invite au voyage. L’imaginaire prend les rênes et s’envole à sa guise. Le spectateur est dérouté et en même temps convaincu qu’il y a bien autre chose au delà des musiques et sons qui peuvent habituellement accompagner la danse. Donner à entendre par la danse. Belle idée parfaitement mise en œuvre par la chorégraphe et danseuse Veronica Vallecillo. Avec ce vrai-faux film muet qui vous parle !, elle réussit à faire du flamenco une danse sonore et ce malgré l’absence de son lié aux frappes au sol. Il n’y a jamais aucun son quand un corps se meut, mais tous ses pas ont une tonalité feutrée. La puissance demeure même si les bruits s’échappant de ses frappes sont étouffés. La chorégraphe donne une autre couleur au flamenco. Celle d’une danse à l’esthétique déjantée, bousculée par l’étrangeté, le décalage et la liberté.
Fanny Brancourt – Centre national de la danse (Février 2013)