
Gathering de la chorégraphe Samar Haddad King s’annonce comme une soirée immersive, festive, presque communautaire : thé partagé, youyous joyeux, effervescence de mariage. La troupe nous accueille avec générosité, et le plateau, éclatant d’oranges, dégage une énergie vive et chaleureuse. L’amorce séduit ; on croit entrer dans une célébration qui lentement basculera vers le tragique.
Mais très vite, la pièce glisse vers une esthétique datée et une dramaturgie qui peine à s’affirmer.
La danse, ou plutôt la danse-théâtre, convoque immanquablement les années 1980 : courses circulaires répétées, chutes convenues, portés un peu forcés, martèlements du sol comme pour compenser l’absence d’une véritable écriture chorégraphique. La troupe s’investit avec entrain, mais l’ensemble manque de précision et d’intention. La circularité permanente finit par devenir un motif épuisant : symbole évident du temps qui passe, mais surtout signe d’un mouvement scénique qui tourne à vide.
Comme souvent aujourd’hui, Max Richter et ses Four Seasons viennent recouvrir le plateau d’une couche sonore ultra-reconnue. Leur puissance dramatique ne suffit pourtant pas à créer ce lien organique que la chorégraphie ne parvient pas à instaurer. Malgré quelques images fortes — les oranges tombant des cintres, les corps empilés comme un mont fragile, l’échelle dressée puis renversée — la dramaturgie demeure erratique. Elle hésite entre narration explicite, rituel participatif et fragments poétiques, sans jamais trouver un centre.
L’échelle, manipulée à l’envi, se veut symbole multiple : frontière, liberté, amour, ascension, croix. Mais à force de tout signifier, elle finit par ne plus signifier grand-chose. Même constat pour l’apparition inattendue d’une autruche bricolée, qui glisse du naïf au décoratif, sans impact réel sur le récit.
La mort du marié, pourtant cœur de la pièce, s’annonce longtemps avant de se produire, puis survient sans véritable retentissement. La surcharge narrative, les prises de parole disséminées dans le public, les allusions symboliques accumulées : tout cela affaiblit la tension dramatique au lieu de la nourrir.
Il reste la bonne volonté des interprètes, venus du Japon, de Palestine, du Danemark, des États-Unis, de Taïwan et de Turquie, dont l’énergie demeure la qualité la plus constante du spectacle. On reconnaît même Samaa Wakim, remarquable dans Losing It en 2024, mais ici sous-employée dans un dispositif qui privilégie la participation du public et l’émotion sur l’exigence artistique.
Gathering veut défendre la résilience palestinienne, les souvenirs fragmentés d’une terre meurtrie, la joie comme forme de résistance. L’intention est noble, le sujet profond. Mais la réalisation reste trop bavarde, trop attendue, trop enveloppée d’un sentimentalisme illustratif. Une soirée souvent agréable, parfois touchante, rarement surprenante. Plaisant, sans plus.
Cédric Chaory
© Pierre Planchenault
Vu à La Coursive, le mardi 25 novembre 2025
